Amputé, vous savez ?

 

En vingt mois, j’ai rencontré autant de gens extraordinaires qu’en vingt ans. Parmi ceux-là, certains manquaient d’un morceau de jambe mais certainement pas d’un morceau de cœur. Vous l’aurez deviné, aujourd’hui j’écrirai pour les amputés.

 

Ceux dont j’ai fait la rencontre sont ont été privé d’un membre inférieur, voire des deux. Mais la vie ne s’arrête pas et tout comme n’importe quel autre handicap, ils se battent pour « faire avec ». Il est vrai que si nous ne nous posons pas vraiment la question, nous avons tendance à nous imaginer qu’il suffit d’une prothèse et le tour est joué. Mais c’est tellement plus complexe…

 

Car pour qu’une prothèse fasse ce pourquoi elle a été créée, encore faut-il qu’elle soit parfaitement adaptée. Or, le moignon qui accueillera ce prolongement matériel est toujours vivant lui : il bouge, il change, il réagit. Pas évident de coordonner l’humain à l’objet. Pour vous faire comprendre cela, deux petites histoires :

 

L’année dernière,  il y avait un homme à qui il manquait la jambe gauche et qui était au centre de rééducation pour apprendre à marcher avec son membre mécanique. Cette personne possédait un très gros appétit et avait pris pour habitude d’aller vider les assiettes des petites dames qui ne finissaient jamais. Or à force de doubler, tripler même, chacun de ses repas, il gagna en poids. Où est le problème me demanderez-vous ? Et bien le fait est que monsieur avait alors grossi du moignon, rendant le port de sa prothèse difficile pour ne pas dire impossible.

 

Maintenant revenons à cette année. Je prends grand plaisir à discuter avec M. mais en ce moment, il a le moral un peu en berne. L’une des raisons de cet état est le suivant : délesté de sa jambe gauche également, il met toutes ses forces depuis plusieurs mois à réapprendre à marcher grâce à son membre métallique. Seulement voilà, il  a lui  non pas grossi mais plutôt maigri au niveau de sa cicatrice. De ce fait, il s’est blessé avec sa prothèse et doit maintenant mettre le holà sur sa rééducation.

 

Certes, leur est fourni un membre de substitution mais encore faut-il arriver à s’en servir ce qui n’est pas forcément plus facile que de réhabituer un membre faible à remarcher. Les sensations ne sont pas là  pour vous donner des indications puisque vous ne sentez plus votre pied, vous devez vous reposer sur quelque chose qui n’est pas « vous » et il faut que cette chose soit exactement comme ce que vous aviez avant sans que ça ne le soit jamais.

 

A ceux donc, qui pensent que ce handicap-là est « moins grave » que les autres, souvenez-vous bien de ceci : lorsque que quelqu’un qui souffrait de dommages osseux ou neurologiques remarche, c’est normalement « gagné », définitif en quelque sorte. Une amputation, ça ne se guéri pas : nous n’avons pas la faculté de certains animaux comme le lézard ou l’axolotl à faire repousser les parties de notre corps que nous perdons. Ainsi, la personne qui dépend d’une prothèse n’est jamais à l’abri d’une complication et verra l’ombre de son fauteuil roulant le suivre tout le reste de sa vie.

 

C’est pourquoi ce sujet est, de façon insoupçonnable de prime abord, aussi intarissable que ceux pour lesquels j’ai déjà écrit. Seulement il faut bien commencer par quelque part, tant qu’on l’aborde et que l’on prend conscience  des faits. J’espère que ce « quelque part » vous parlera et vous interpellera.

 

amputé 2

 

 Je remercie M. et C. de continuer à partager leur quotidien avec moi, et d’avoir jeté un œil sur le brouillon de cet article afin que je sois dans le vrai à chacun de mes mots. Qu’importe que vous ayez le pied froid tant que vos regards restent aussi chaleureux !

 

 

 

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6 commentaires sur “Amputé, vous savez ?

  1. Toujours aussi pertinent et interessant tes articles et réflexion sur la vie des handicapés.
    Un monde que l'on découvre par des "petites choses" de la vie de tous les jours.
    Bon courage à vous tous, dans l'attente de nouveaux sujets, nous t'embrassons.
    Le Lyonnais Breton

  2. Ben ça alors! je ne m'en serais jamais douté avant que tu n'en parle: le coup de la prothèse qui ne s'adapte pas avec l'évolution du corps….. C'est tellement évident, encore faut-il le savoir.Comme beaucoup, avant de te suivre dans ton "aventure" j'étais loin d'imaginer tout ça. Et il est vrai aussi que je ne regarde plus quelqu'un en fauteuil comme avant. D'abord ….. j'ose le regarder! Et ensuite je regarde la technicité du fauteuil! Juste pour savoir de quoi tu parle lorsque tu nous explique tes choix en la matière.
    C'est bien. Continues à nous expliquer tout ça avec tes mots, ton humour et ton sérieux aussi. C'est intéressant et important.
    Bisous
    ClearVador

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