Fatigue et limites, excuses d’un corps paresseux.

 

Passer du stade de valide au stade de personne en situation de handicap, c’est se retrouver comme lorsque nous étions enfants à devoir tester nos limites physiques pour les (re)définir. Je ne parle évidemment pas de ce qui coule de source comme le fait de ne plus marcher par exemple. Non, je parle plutôt de notre endurance et de notre capacité à supporter la fatigue qui se trouvent être complètement déréglées.

 

Ainsi donc dans nos débuts de vie en tant que tel, nous ne faisons guère attention à tout cela. Sans vraiment écouter notre corps, nous voudrions en faire autant qu’avant, reprendre le rythme qui était le nôtre. Seulement voilà, ce n’est pas aussi simple. Car ce qui se faisait sans aucun effort demande aujourd’hui un déploiement d’énergie plus important. Que ce soit pour passer du fauteuil à la voiture, du fauteuil à un autre fauteuil ou du fauteuil au lit, ce sont des actions qui se feraient machinalement pour une personne lambda. Ce n’est pas notre cas. Chaque geste, aussi insignifiant soit-il, attend de notre part une peine significative.

 

Seulement ça, on ne le sait pas tout de suite…

 

Alors nous faisons des prévisions, des plans, des projets. Nous remplissons notre emploi du temps qui du coup, prend des allures d’agenda de ministre. Nous ne doutons de rien. Sauf qu’à un moment, le corps va dire « stop ». À avoir enchaîné des trajets, des visites, des rendez-vous ou des soirées, sans trop s’en rendre compte, la force s’est mise à diminuer pour finalement nous abandonner. Jusque là, peu de différences avec les personnes valides vous allez me dire. Non, c’est vrai, mis à part deux choses : déjà, l’épuisement de notre stock d’énergie se fait beaucoup plus rapidement. Ensuite, si vous pouvez lutter contre la fatigue, ce n’est pas forcément notre cas.

 

Je m’explique.

 

Ce qui ne fonctionne pas, peu ou mal chez nous, est indéniablement plus difficile à maîtriser. L’ingéniosité est de rigueur pour palier ces manques, mais aussi un surplus d’effort et d’énergie dans le but d’arriver à nos fins. Soulever une jambe va donc entraîner la participation de toutes les capacités des muscles exploitables, celle des bras aussi, histoire d’aider le mouvement, et de chaque compensation auxquelles nous pourrons faire appel. Imaginez pour ce qui est des gestes plus difficiles ! Mettez-en dix, quinze ou vingt à la suite, vous comprendrez bien que ça va devenir de moins en moins évident. Et si nos muscles déjà défaillants de base décident de faire la grève après avoir trop travaillé à leur goût, les conséquences peuvent être particulièrement pénibles.

 

Par exemple.

 

J’ai en ce qui me concerne la possibilité de m’appuyer un peu sur mes jambes lorsque je suis en position assise. Ça m’aide à effectuer mes transferts, et ça me permet de soulever mes fesses, fait utile pour me déshabiller lorsque je vais aux toilettes notamment. Si ma fatigue est trop grande, mes membres inférieurs ne feront plus rien. Mes forces vidées, inutile d’espérer me tenir de façon bien efficace. Et si la perte d’énergie se fait ressentir ici, elle a aussi des répercussions sur des choses plus vitales. Après tout pourquoi n’y aller qu’à moitié ? Dans ces grands moments de faiblesses, mon cœur se la joue distant lui aussi et il me fait bien comprendre qu’il aurait préféré rester peinard au chaud sous la couette. Le voilà à faire son feignant : il n’envoie plus le sang assez fort et/ou assez vite jusqu’au cerveau ce qui entraîne des pertes de tensions (vue et ouïe brouillés). Charmant n’est-ce pas ?

 

Pour se remettre de tout ça…

 

Vous vous doutez bien qu’une fois arrivés à un tel point, une bonne nuit de sommeil ne suffit pas. Obligés de se mettre en repos forcé pour minimum deux jours et deux nuits. La première fois que ça m’est arrivé, j’étais en centre de rééducation et ce sont les infirmières qui m’ont imposé une semaine entière de « rien ». Dur à supporter pour une hyperactive qui refusait de perdre le moindre quart d’heure de kiné. Mais si la tête voudrait encore escalader des montagnes, le corps ne laisse finalement que peu de choix.

 

Et à expliquer ?

 

Il est difficile de justifier de telles réactions auprès des gens extérieurs. Ils ont beau avoir la volonté de comprendre et dire le faire, c’est toujours un peu gênant d’avouer que nous avons trop forcé, que nous ne sommes plus capables de rien jusqu’à après-demain au moins et de donner une nouvelle preuve de notre impuissance. Même si ça peut être écouté et assimilé, c’est comme pour tout, il y a toujours cette distance entre le vécu et le non vécu. Quant à nous, ça nous donne un mélange de frustration, de honte et d’agacement (quand même un peu) envers nous-même, peut-être est-ce notre fierté qui en prend aussi un coup ?

 

La morale dans tout ça c’est qu’il  vaut mieux connaître ses limites avant de les atteindre, même si l’apprentissage n’en est pas évident… Et accepter de s’arrêter, accepter de dire que nous ne pouvons pas.

 

taux méchanceté

 

 

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4 commentaires sur “Fatigue et limites, excuses d’un corps paresseux.

  1. C'est vrai que la gestion de son corps dans l'handicap, c'est une sacré rencontre… Pour certains et pour mon cas, sur le papier, j'ai n'ai plus que la moitié d'un corps qui fonctionne et l'autre qui donne signe de vie que par parasites. Alors qu'entier, je ne me préoccupais pas plus que ça de son corps, voire avoir l'impression que je suis avant tout esprit et que le corps qui est là, ben qu'il suive ! Là, maintenant, on a moitié moins et pour autant il nous faut nous consacrer à notre corps 5 fois plus et je suis loin encore de la réalité. Pour ma part, mon handicap m'a fait découvrir que mon corps faisait parti de moi. Bien entendu qu'intellectuellement je le savais mais pour autant je n'avais que très rarement à m'en soucier. Pour revenir au sujet du jour, de mon côté, je me fatigue certainement plus vite qu'avant et que la récupération est plus longue mais surtout c'est le temps à émerger le matin qui n'a plus rien à voir. Le réveil est plus difficile et plus long et il faut se faire violence pour se réveiller, pas se lever. Ensuite, c'est pas parce que je suis debout que je suis au taquet. Non, il me faut quelques heures pour être à presque plein régime. Cela est peut-être dû à des médocs. Aussi, j'ai décidé de faire une première tentative de sevrage, on verra bien pour la douleur et les douleurs neuro. @+

  2. J'aime ta phrase "Mais si la tête veut encore escalader des montagnes, le corps ne laisse que finalement que peu de choix…" c'est tellement ça ! On peut avoir toute la volonté du monde, si notre corps nous oblige à un "non", il est difficile d'aller contre sa volonté…

  3. et dire que certains "fatigué de naissance" mais valides …..eux ! ne se rendent pas compte de la chance qu'ils ont.
    Quand on est en bonne santé il faut foncer. En profiter. Vivre la Vie. avoir soif de ….tout!
    Et surtout s'ouvrir aux autres. Ne pas rester amorphe dans son coin. La vie est trop belle. Il y a tant de choses à découvrir qu'il n'y a pas assez….d'une vie!
    Clearvador

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