Forrest Gump chocolat

Si avoir un handicap, c’était un peu comme être privé de chocolat.

 

« C’est difficile la vie en fauteuil ? Enfin je veux dire… oui, bien sûr que ça l’est mais est-ce que ça… s’accepte ?
– Bonne question !… Je dirais que le handicap, c’est un peu comme être privé de chocolat…
– De quoi ?… »

 

Lorsque j’étais enfant, j’allais beaucoup en colonies de vacances. Durant l’une d’elles au ski, je me souviens qu’à un dîner, une agitation toute particulière avait marquée l’entrée dans le réfectoire du dessert… et pour cause ! Ce soir là, c’était glace au chocolat. Si je peux me remémorer cet instant avec exactitude, ça n’est pas tant à cause de mon insatiable gourmandise non, si cet instant m’a marqué c’est parce que la camarade assise en face de moi m’a donnée la sienne. La raison de ce geste ? Elle n’aimait pas le chocolat. ELLE.N’AIMAIT.PAS… LE CHOCOLAT. Le chocolat ! Elle n’aimait pas. Enfin… comment est-ce possible ? Je devais avoir sept ans, je n’ai pas compris. Aujourd’hui j’en ai presque vingt de plus et je ne conçois toujours pas la chose.

 

 

Willy Wonka
Charlie et la chocolaterie, Willy Wonka (Johny Depp)

 

 

D’accord mais quel rapport avec le handicap ? Aucun. À première vue du moins…

 

Pour que vous compreniez bien ce qu’est l’un des aspects de la vie en fauteuil (pour ma part), imaginez que du jour au lendemain, vous n’ayez plus la possibilité de manger de chocolat du tout (allergie mortelle fulgurante par exemple ?)
Ce serait dur, vous vous en doutez n’est-ce pas ? Parce qu’il y a le manque, parce qu’il y a l’envie, et parce qu’il y a ces sensations, ce goût, que vous n’aurez plus jamais. Un vide qui parfois, si vous n’y prenez pas garde, s’attribut toute la place. Il vous fait fouiller chacun de vos placards à la recherche d’un morceau oublié ou bien d’une solution de compensation. Vous vous retrouvez à vous gaver d’une autre addiction pour remplacer celle que vous ne pouvez plus assouvir, sans jamais en être pleinement satisfait. Parce que votre cerveau le sait, que vous essayez de le piéger. Alors il vous piège aussi. Il vous laisse quelques jours, quelques semaines de répit et puis par un bel après-midi ensoleillé, vous passez devant un stand de gaufres : vous voilà happé par l’odeur du coulis de chocolat fondu. Et alors que vous pensiez avoir passé le cap, la soif se réveille et ne vous lâchera plus jusqu’à la prochaine accalmie.

 

Je sais, je pourrais tout aussi bien parler de bonbons, de bière, de cigarette, de saucisson, de fromage ou de tout autre forme de dépendance, choisissez celle qui vous illustrera mes propos au mieux car après tout, marcher n’en est-il pas une ? C’est comme en amour, comme en amitié, comme ce même poids que vous avez depuis trois ans, vous finissez par oublier que ça n’est pas naturel, pas un dût, que ça n’est jamais acquis et que tout, aussi bien que rien, peut arriver. Le jour où l’on se retrouve privé de ce que nous pensions impossible à perdre, il existe en vérité mille et une façons d’y faire face.

 

 

Charlie Chaplin
The Circus, Charlie Chaplin

 

 

Bien sûr, pour certains ce sera trop douloureux : lui se renfermera sur lui-même, elle deviendra plutôt triste et négative, lui sera amené à être méchant parce qu’il pensera pouvoir calmer sa frustration en passant ses nerfs sur les autres. Et puis il y aura lui aussi, qui ira jusqu’à en abandonner la vie, ne sachant pas comment s’en sortir, comment supporter ce qu’il a à supporter.

 

Beaucoup au contraire en feront une force : Pas le droit au chocolat ? Ok, lui sera l’inventeur d’un ersatz (même goût même couleur mais pas du chocolat) que toutes les boutiques s’arracheront, lui sera maître pâtissier spécialisé dans les desserts aux fruits et elle, bâtira une « caramèlerie » (et pourquoi pas ?). Parce que privé de ses jambes, lui est devenu champion paralympique, elle, a fait le marathon de Paris en handbike, elle, a fait le tour du monde ou encore lui, a lancé la première marque de fauteuil français

 

Certains en feront même leur identité. « Pas de chocolat pour moi ? Bah au moins ça me différencie de la majorité des gens. Je suis celui-qui-ne-mange-pas-de-chocolat, aucun risque qu’on m’oublie : pour se démarquer je suis au top » Je fais le parallèle avec le fauteuil ? Pas besoin, vous l’avez compris. Un défaut, une faille, une différence, peut être brandi comme un drapeau, mais il peut être également à l’origine de ce qui fait de la personne ce qu’elle est. La reconstruction autour du handicap est longue et difficile, et une amie m’a dit un jour que si d’un coup elle n’avait plus sa maladie, elle serait comme perdue : elle ne se reconnaîtrait plus, ne saurait plus dans quelle direction aller parce qu’aujourd’hui c’est son handicap qui la mène où elle va.

 

En ce qui me concerne j’ai l’impression de ne me situer ni d’un côté ni de l’autre, ou plutôt à la fois d’un côté, à la fois de l’autre. Il y a des jours où je me souviens que si je ne peux plus toucher au moindre chocolat, me restent encore les céréales, le lait chaud au miel, l’ananas, la crème de marrons, les spéculoos et les crêpes. Et il y a des jours durant lesquels ma mémoire prend un malin plaisir à me rappeler à quel point j’aimais le Nutella, les cookies ou les brownies. À quel point l’odeur du fondant dans le four me faisait saliver ou à quel point les calendriers de l’Avent me rendaient folle chaque année. Alors à la place je termine le pot de confiture à la cuillère, je dévore le paquet de Miel Pops dans l’heure et je commande une pizza pour remplir mon ventre : peut-être qu’ainsi il oubliera ce dont il a vraiment envie.

 

 

Fenêtre sur cours, Johnny Depp
Fenêtre sur cours, Johnny Depp

 

 

En ce qui me concerne j’ai l’impression de me situer ni d’un côté ni de l’autre, ou plutôt à la fois d’un côté, à la fois de l’autre Il y a des jours où je me souviens que si je ne peux plus tenir debout, je peux encore et malgré tout voler, faire du sport, aller en shopping, voyager, conduire, bricoler et finalement en faire plus que certains valides. Et il y a des jours durant lesquels ma mémoire prend un malin plaisir à me rappeler à quel point j’aimais les courses de vitesse au lycée, les balades dans les champs avec mon chien ou les vacances via ferrata et randonnées en Corse. À quel point j’avais été fière de mon 20 à l’épreuve du bac de natation ou à quel point je me sentais vivante lorsque j’emmenais mes gamins faire des cabanes dans les arbres ou de grandes chasses aux trésors dans la forêt lorsque j’étais animatrice. Alors à la place je ne passe pas plus de trois jours sans prendre ma voiture, je multiplie le temps passé avec mes amis, j’allonge ma liste des pays où je suis allée, je teste tout plein d’activités funs accessibles et j’écris pour remplir ma tête : peut-être qu’ainsi elle oubliera ce dont elle a vraiment… besoin.

 

À la question « Si demain tu pouvais remanger du chocolat, tu le ferais ? » je répondrai oui, sans hésitation aucune, un million de fois s’il le faut. Et je suis toujours admirative de ceux qui répondent « Non, finalement la vie sans, ça me plaît mieux ». Admirative mais pas envieuse, je ne saurais l’expliquer.

 

J’ai écris cet article après avoir vu cette vidéo, avec mes réflexions, impressions et mon état d’esprit de ces derniers jours.

 

 

 

 

Si vous aimez, n'hésitez pas : partagez !
Share on Facebook
Facebook
Tweet about this on Twitter
Twitter
Email this to someone
email
Print this page
Print

11 commentaires sur “Si avoir un handicap, c’était un peu comme être privé de chocolat.

  1. Faire totalement le « deuil » de ce qui a été, de sa vie d’avant, je n’y crois guère.
    Nous restons nostalgiques de ce que nous avons été, jamais remis de la perte.
    Mais il faut continuer d’avancer jour après jour. … Bon courage !

    1. Ahah moi non plus à vrai dire. Faire un deuil voudrait dire que ce qui a été n’existe plus, hors c’est le cas : je suis qui je suis autant par ce que j’étais avant que par ce que je suis aujourd’hui ! Merci en tout cas de ces encouragements ! 😀

  2. Cela faisait longtemps qu’un article ne m’avais pas autant fait réfléchir!
    C’est vrai que je fais partie de ce qui ne rêvent pas de récupérer leurs jambes.
    Par contre guérir complètement, là je dis oui!
    Bien sur que ça ne me rendra pas mes années passées ni même mes rêves qui ne pourront pas plus se réaliser mais quand même!
    Par contre, le fait d’être en fauteuil est POUR MOI, une option, une option qui ne me dérange pas plus que ça. Enfin si des fois c’est sûre mais je crois que c’est vraiment ça un détail.

    1. Je suis contente qu’il ait eu autant de résonance en toi et lorsque nous en avions discuté de vive voix, je m’étais justement dit qu’un jour j’écrirai sur ce sujet. Souvent les gens, valides ou « jeunes handi » croient que nous donnerions tout ce qu’on a pour redevenir « normaux » (ah.ah.) Mais c’est parce qu’ils ne pensent pas à tout ce que ça impliquerait ! Dans mes moments de faiblesses je voudrais retourner en arrière, à « avant » et effacer tout ça, c’est vrai. Sauf qu’en réalité je sais que ce qu’il s’est passé ces cinq dernières années, si c’était dur, était aussi précieux. Je VEUX remarcher, mais je veux le faire en ayant vécu tout ça, en ayant conscience de cette réalité là…

  3. tu remarcheras un jour. Je ne sais pas quand ni comment (physique – nerfs – chimique – mécanique – opération – …. ????) mais tu remarcheras. Ce n’est pas un espoir c’est un fait. J’espère juste le voir….car évidemment on ne sait jamais de quoi demain sera fait.
    continues comme ça en tous les cas. Vis et vis bien

  4. Le handicap ne doit pas toujours être facile à vivre c’est évident, car il faut vivre au quotidien avec cet obstacle qui empêche de faire ou d’agir comme quelqu’un de valide pourrait agir. Heureusement qu’il existe des équipements PMR pour rendre accessible les infrastructures ou autre… Ces équipements représentent un coût non négligeable mais améliore la vie des personnes à mobilité réduite. continuez d’avancer avec force et dignité !

Vos réactions...