Zelda la rouge, quand les livres parlent handicap

Il y a deux semaines, je suis allée passé quelques heures avec des élèves de seconde dans le cadre de leur travail sur le livre Zelda la Rouge de Martine Pouchain. Ce roman aborde le handicap tant pour la personne qui a à le surmonter que pour les proches de cette dernière. Ainsi, cela a soulevé pas mal de questions pour ces ados de quinze ans, raison pour laquelle je m’étais mise à leur disposition.

 

Tout d’abord le livre :

 

Il raconte quelques mois de la vie de Zelda, jeune fille de 16 ans en fauteuil roulant. Renversée par une voiture à l’âge de 10 ans, elle est passée à autre chose et vit son handicap de façon positive. Elle habite avec sa sœur Julie qui elle, n’aspire qu’à retrouver le chauffard fautif pour se venger.

 

Si le titre du livre porte le nom de celle qui roule, il y a en réalité deux personnages principaux incarnés par chacune des sœurs. C’est très malin car ça permet d’aborder d’un côté l’acceptation, de l’autre le refus et la colère face à l’adversité.

 

Les élèves avaient sélectionnés des passages qui les avaient marqués pour que je puisse les éclairer sur le sujet, et lancer ainsi le débat.

 

« J’ai perdu mes copines de l’école. Certaines sont venues me voir une fois ou deux, et quand elles ont su que j’étais handicapée à vie, ça leur a foutu les boules pire qu’à moi. J’étais plus fréquentable soudain, rien que me voir leur bousillait le moral. Elles n’avaient pas le bagage émotionnel adapté à la situation, il n’y en a pas beaucoup qui l’ont. Ils s’en est même trouvé pour me dire que j’étais courageuse parce que moi, à ta place, je me tuerai. Ce n’est pas très important : à dix ans, on a la vie devant soi pour se refaire, des potes. Et on s’en refait. Des à qui c’est égal de te voir en fauteuil roulant, vu qu’ils ne te connaissaient pas avant, qui ne peuvent donc pas comparer.« 

 

Les proches et leur attitude. J’ai croisé trop de personnes qui faisaient des généralités de leur cas « de toute façon quand il arrive quelque chose, il n’y a plus personne : ni famille, ni ami » Oui, ça arrive. Mais en vingt-cinq mois de rééducation, j’ai rencontré de tous les cas de figures et il est en réalité impossible d’énoncer une règle comme celle-ci. Heureusement d’ailleurs car c’en serait une bien déprimante. J’ai fait la connaissance il y a quelques semaines d’un monsieur paraplégique qui, comme moi, a vu son entourage le porter (au sens propre et figuré !) tant qu’il en a eu et en a besoin. Tout le monde n’a pas cette chance c’est un fait, mais nous ne sommes pas pour autant des cas rares. Maintenant, en revenant à Zelda, il est vrai que des copains à dix ans, fauteuil ou pas fauteuil, rares ceux qui le sont encore à 16 ans ou plus ! Et puis les enfants ne sont pas faits pour faire face à ce genre de situation, ils ne savent pas quoi faire, quoi dire, comment agir et c’est logique, même les adultes ne le savent pas vraiment alors peut-on le leur reprocher ?

 

« Moi aussi je m’en souviendrai toujours, je peux pas faire autrement. Mais j’ai tant eu à me battre qui ne m’est pas resté de place pour la haine. Alors j’ai arrêté de me focaliser sur les causes auxquelles je ne pouvais rien changer, pour m’intéresser aux effets que je pouvais améliorer. Je suppose que c’est une des rares circonstances où les effets sont plus importants que les causes. Aujourd’hui, j’ai envie de dévorer la vie et un appétit d’ogre que tout intéresse : les choses, les lieux, les gens. Je suis redevenue apte aux grands moments. Vous savez, ces moments que les gens appellent des petits bonheurs ? […] L’avantage des grands moments, c’est qu’ils sont gratuits. L’inconvénient, c’est qu’ils se pointent sans crier gare, il faut donc ouvrir l’œil. On l’ouvre plus facilement quand on s’est pris une bonne giclée d’adversité.« 

 

Cela fait sacrément du bien de lire ça, et de voir qu’en plus ça les a touchés ! Ces derniers temps j’ai rencontré des personnes tristes, enfermées dans leur rancœur. C’est vrai que ce qui nous arrive c’est difficile, mais il n’y a pas que ça, il n’y a pas que le côté malheureux : il y a tout le reste.

Les gens qui nous aiment, les rires, le soleil, la bonne musique, l’odeur des crêpes l’hiver et celle du barbecue l’été.

Oui il faut être optimiste ce qui n’est pas toujours si évident, oui il faut parfois décider d’ignorer certaines réalités pour profiter d’autres. Mais quand il y a eu un malheur dans sa vie, quelle meilleure vengeance que d’être le plus heureux possible, même avec rien – surtout avec rien – histoire de rééquilibrer la balance ?

 

régal

 

« Je dis pas que c’est nul, l’institut spécialisé, mais y a que des handicapés. Je dis pas que c’est nul les handicapés, mais on ne met pas tous les myopes dans un lycée pour myopes, ni tous les gros dans une école pour gros […], grâce à Mémène qui a tout mis en ordre avant de s’en aller, j’ai un statut privilégié. Ma chambre est au rez-de-chaussée, j’ai une petite salle de bain spéciale handi pour moi toute seule, elle m’a acheté un fauteuil de compétition à trois mille euros remboursés six cents à la sécu, et aussi une DS, avec le frein et l’accélérateur au volant, pour quand j’aurai mon permis.« 

 

Je ne peux pas dire que se retrouver entre handi, ça ne fait pas du bien. De ça aussi je vous en avais parlé dans plusieurs articles. Parce qu’à être ensemble, on forme un groupe à l’intérieur duquel il n’y a plus vraiment de handicap : ce qui nous différencie les uns des autres est… autre, justement. Mais ce n’est pas pour autant qu’on va former un clan et rester entre nous. Parce que ce serait une façon de fuir et que ce ne serait pas sain. Et puis ça fait du bien aussi de sortir avec les copains valides comme si rien ne nous séparait. Ça fait du bien de ne pas voir que le handicap partout, car à ne faire que le voir, on ne risque pas d’oublier le sien. Et puis ce n’est pas le fait d’être en fauteuil ou d’avoir une jambe en plastique qui nous définit : nous n’avons donc naturellement aucune envie d’être catégorisés pour cela. Après je ne dis pas, certains se complaisent dans leur situation, que ce soit dans le domaine du handicap ou non. Pour ma part, tout ce que je peux faire pour me rapprocher de la « normalité » (sous entendu pour certains, du non-handicap), je le fais, quelque soient les obstacles de temps, d’efforts ou financier. On se débrouille. Zelda aussi.

 

(en parlant de l’Allemagne) « Et en plus, ils ont un ministre handi, tu vois ça d’ici ? En France, même à l’Assemblée nationale, y en a pas un, tu te rends compte ?! Six pour cent de l’électorat est handi et y a pas un seul député qui l’est ! C’est hallucinant, non ? Surtout qu’avec les progrès de la médecine, on sera de plus en plus nombreux.Ben oui. Les ambulances sont plus rapides, et question réanimation on n’arrête pas le progrès alors au lieu de mourir, on roule !  » Ma frangine n’aime pas que je plaisante avec mon handicap, elle dit que je suis cynique. Je reconnais que j’aime les blagues vaseuses et d’humour noir, je ne vois pas ce que ça a de cynique. Moi, quand je vois un chat, je me raconte pas que c’est un félin domestique et je n’ai pas envie qu’on parle de moi comme d’une personne à mobilité réduite. C’est juste hypocrite !« 

 

Grand débat que celui-ci. On ne dit pas « un nain », on dit « personne de petite taille ». On ne dit pas « handicapé », on dit « personne à mobilité réduite ». Alors d’accord, le fait d’être handicapé n’est pas la définition de l’être humain que nous sommes. D’accord c’est une situation et non un fait (quoi que) et je comprends les gens qui s’insurgent contre ce terme. Mais n’est-ce pas pire de nous sortir un terme pompeux à rallonge ? À vrai dire je ne me prononce ni d’un côté ni de l’autre : je n’aime ni « handicapé », ni « personne à mobilité réduite ». Je suis « en fauteuil », comme un autre est « en voiture » ou « à pied ». Le reste engendré par mon « état » est détails qui ne regardent que moi.

 

Quant à l’humour noir, ce n’est plus un secret si vous suivez le blog depuis quelques temps : les plus friands de blagues déplacées, ce sont nous même sur nos propres situations. Parce qu’on est tous plus ou moins mal foutus, on se permet d’être plus ou moins corrects. Un amputé d’une jambe qui à son « à demain » s’entend répondre un « à deux pieds…enfin presque ! » par un SEPien ou un para, ça ne choque que les valides !

 

Peur

 

Mais tout ça pour dire quoi ? Pour dire que non, « les jeunes » ou « la nouvelle génération » ne sont pas tous des « je-m-en-foutistes ». Pour peu qu’on leur présente le sujet en un discours qui les interpellera, qu’il soit oral ou écrit, cela suscitera chez eux plus d’intérêt que l’on pourrait le croire. Les passages retenus étaient les mêmes que les miens et leurs questions à la fois naïves et terriblement pertinentes laissaient libre cours à des explications, des anecdotes, des exemples qu’ils écoutaient avec une attention presque déconcertante. Comme quoi l’avenir peut ne pas être tout à fait gris…

 

 

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8 commentaires sur “Zelda la rouge, quand les livres parlent handicap

  1. Si je peux me permettre Daphnée, "Comme quoi l'avenir peut ne pas être tout à fait noir…" mais plutôt gris, dans la nuance quoi ! un peu de blanc, un peu de noir et beaucoup de nuances… Mais ça, on le découvre, je pense, avec l'âge. Je joue "le vieux con" peut-être mais c'est assez flagrant, une fois la vingtaine passée, on est plus dans la nuance car la variété de ce que nous avons vécu nous permet de dire que la vie, c'est pas tout blanc ou tout noir mais bien gris. Tiens, un joli gris que je mets dans ma maison actuellement est gris fusain, un blanc " cassé" mais le gris ne se révèle que si la luminosité baisse sinon on ne voit que du blanc… Bises Daphnée.

  2. Justement, pour moi rien n'est tout noir ou tout blanc, il y a toujours une petite lueur ou une petite ombre. Alors, même pour les pessimistes j'ose croire que le noir n'existe pas : ils voient donc les choses en gris et c'est déjà bien assez 😉 Là, les jeunes apportent un peu de couleur. Tu as raison, il y existe tellement de nuances : j'aime ça aussi !

  3. Bonjour! Merci pour ce blog qui permet aux gens non handicapes dont je fais partie de ne pas commetre les bourdes habituelles…ignorantes pas mechantes…et d'imaginer une vie vue d'un autre point de vue.

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