Le handicap n’existe pas dans l’utopie de Candide

 

Et si aujourd’hui je ne vous parlais pas de handicap ? Ou plutôt de l’absence de handicap ? À moins qu’il ne soit là sans qu’on le sache ? Je reprends ma plume de valide.

 

J’ai grandi dans une famille plutôt banale. Personne n’y était en fauteuil, aveugle ou manchot. Au sens propre du terme du moins. Dans les classes où j’ai été, rien à signaler non plus. Il y avait bien ce garçon de l’école d’à côté dont le bras s’arrêtait au niveau du coude mais je me souvenais davantage de lui parce qu’il avait un charisme un peu intimidant que par son infirmité dont je n’avais même pas conscience en ces mots.

 

Un jour, mon frère âgé à ce moment de dix-sept ou dix-huit ans s’est abîme la clavicule. Il devait donc la protéger et éviter tout mouvement le temps que ça se remette. Alors c’est ma mère qui l’aidait à se laver, comme quand il était enfant. Mais c’est normal, c’est une mère. C’est ce que je me disais en tout cas. Je ne savais pas ou n’avais pas compris, ado, que c’était un métier de s’occuper des personnes qui ne peuvent faire les choses par elles-mêmes.

 

Au lycée, lorsque mon père m’emmenait, il n’était pas rare de voir un gars, toujours le même, se balader en ville avec une démarche chancelante un peu étrange. Je me figurais qu’il était bourré, je ne m’y intéressais du coup pas tellement. Mon père ne comprenait pas que ce puisse être possible aussi tôt le matin et aussi fréquemment. Et puis j’allais en cours et je n’y songeais plus jusqu’au lendemain ou surlendemain. Aujourd’hui je ne sais toujours pas si sa particularité était bien alcoolique ou juste physique.

 

 

Oui je sais, je suis désespérante...
Oui je sais, je suis désespérante…

 

 

Lorsqu’ensuite j’ai été animatrice, il est arrivé un été que j’aie un gamin avec un problème aux jambes, il ne pouvait pas courir et il marchait péniblement. Mais ce n’est pas pour ça que je me souviens de lui. Je m’en souviens parce qu’il était insupportable. Hautain avec ses copains comme avec les adultes. Pas violent mais parfois méchant avec ceux qui étaient moins âgés (et avec les filles !). Il était compliqué à canaliser.

 

Tout ça pour en venir où ? Pour en venir au fait que « handicap » n’est qu’un mot, qu’une étiquette. Ce n’est pas une sous-espèce ni même une espèce tout court, ce n’est pas une entité. « Handicap » est un terme fourre tout. Il désigne aussi bien le fait d’avoir une carte en moins au début d’une partie de jeu, que ce dont souffre une personne hospitalisée à l’état de légume. N’est-ce pas un éventail un peu trop grand que celui-là ?

 

Parce qu’en fait « ça » n’a rien de rare. Tout au long de sa vie on le croise, on le voit, on le subit, sans même se rendre compte que c’est « ça ». Un bras cassé à un entraînement de rugby et hop ! Dépendance pour couper le steak du dimanche (et des autres jours). Une jambe plus courte d’à peine un ou deux centimètres par rapport à l’autre à la naissance et joli boitillement constant en perspective. Et est-ce comme ça que l’on se souvient des gens ? Est-ce que l’on dit « tu sais, mon amie brune avec des longs cheveux que j’ai rencontré en deuxième année et qui fait des compétitions de surf l’été » ou est-ce que l’on dit « tu sais, mon amie qui a un œil qui dit merde à l’autre quand elle est stressée » ?

 

C’est sûr il y a des handicaps visibles et d’autres non, mais d’un côté comme de l’autre le résultat est le même n’est-ce pas ? On peut décider de ne pas voir ou de ne pas se souvenir d’un handicap comme on peut choisir de ne relever que lui. Et comme on peut préférer le prendre en considération ou l’ignorer. Tout est question de point de vue. Alors oui, il est important d’intégrer le fait qu’il existe une multitude de handicaps différents, il est important d’en tenir compte, nécessaire voire vital parfois même. Mais d’en tenir compte comme du fait qu’il existe des gens de différents sexes, de différents pays, de différents caractères, de différents revenus, de différents goûts, de différentes corpulences… Est-ce si compliqué d’ajouter un critère auquel penser dans la vie de tous les jours ? Parce que si y penser devenait logique, si le croiser devenait banal alors on ne le verrait même plus puisqu’il deviendrait normal. Et ça ferait moins souffrir. Ça ne rattraperait pas tous les autres problèmes certes, mais ça en ferait un au moins, et pas des moindres.

 

Je crois qu’aujourd’hui je me fais un peu adepte de l’utopie…

 

 

My lovely thing 'Kaart Muse'

 

 

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