Lettre à toi demain, qui sera un peu plus handi’

 

Est-ce toujours toi en face de moi ?

 

Hier, tu aimais nager. Vite. Longtemps. Ne t’arrêtaient que tes poumons lorsqu’à bout de souffle, tu daignais faire une pause.

 

Hier, tu aimais les carambars au goût « barbe à papa ». Peu importe les chocolats, les gâteaux, ou n’importe quelle autre sucrerie. Lorsqu’un paquet s’ouvrait à ta portée, il ne se passait pas un long moment avant qu’il ne reste à piocher pour les autres que les banals barres à la fraise, à l’orange, au citron, ou le pire, ceux à l’infâme goût kiwi (si on pouvait appeler ça un goût.)

 

Hier, tu comptais le nombre de portes qu’il y avait entre ton point de départ et ton point d’arrivée lorsqu’il fallait que tu effectues le trajet seul, à pieds, et que tu avais oublié de prendre tes écouteurs comme tu oubliais souvent tant de choses.

 

Hier, tu te dévoilais toujours les dernières pages d’un livre avant même de l’avoir commencé pour évaluer si oui ou non, la fin valait la peine que tu lises tout le reste.

 

Hier, tu te moquais souvent de Camille, même si c’était ton meilleur pote, à cause de son prénom de fille et de son niveau médiocre à Mario Kart. Vous finissiez la plupart du temps par faire semblant de vous battre, et ça vous faisait marrer de voir la réaction apeurée des gens qui ne connaissaient rien de votre petit manège.

 

Aujourd’hui il y a eu un court-circuit au niveau du chauffage d’appoint électrique du salon de tes parents, partis travailler, et très vite, toute la maison a pris feu. Comme tu étais à l’étage à jouer à World of Warcraft sur ton PC, casque vissé sur les oreilles, tu n’as pas tout de suite pris conscience de ce qu’il se passait. Mais la chaleur, l’odeur surtout, t’ont fait lever le nez de ton écran et passer la porte vers le couloir pour constater leur origine. Tu t’en es sorti. Avec une jambe en moins et des brûlures un peu partout sur le corps, visage excepté par miracle. Alors demain ?

 

Demain, tu aimeras nager. Vite. Moins longtemps. Ne t’arrêteront que tes poumons abîmés donc moins endurants, et ta prothèse sur mesure de compét’ lorsque tu auras épuisé l’énergie qu’elle te demandera pour continuer.

 

Demain, tu aimeras les carambars au goût « barbe à papa ». Peu importe les chocolats, les gâteaux, ou n’importe quelle autre sucrerie. Lorsqu’un paquet s’ouvrira à ta portée, on te laissera faire le tri et dépiauter tant bien que mal le bonbon rose avec tes mains douloureuses, et on fera comme si de rien n’était en se contentant de piocher, l’air de rien, les banals barres à la fraise, à l’orange, au citron, ou le pire, ceux à l’infâme goût kiwi.

 

Demain tu compteras le nombre de portes qu’il y aura entre ton point de départ et ton point d’arrivée lorsqu’il faudra que tu effectues le trajet seul, en fauteuil d’abord, en béquilles ensuite, avec ta jambe de Robocop enfin, et que tu auras oublié de prendre tes écouteurs comme tu oublieras souvent tant de choses.

 

Demain, tu te dévoileras toujours les dernières pages d’un livre avant même de l’avoir commencé pour évaluer si oui ou non, la fin vaut la peine que tu lises tout le reste. Sauf les livres qui parleront de handicap, de près comme de loin. Inconsciemment, ceux-là tu ne les ouvriras même pas.

 

Demain, tu te moqueras souvent de Camille, qui sera encore ton meilleur pote malgré ce que tu auras traversé, à cause de son prénom de fille et de son niveau médiocre à Mario Kart, « même contre un éclopé ». Vous finirez la plupart du temps par faire semblant de vous battre, lui plus que toi, et ça vous fera marrer de voir la réaction apeurée des gens qui ne connaîtront rien de votre petit manège.

 

Demain, ce sera toujours toi en face de moi.

 

Un chapitre en plus, un quotidien moins ordinaire, un corps différent. Mais là-dedans, ce sera toi. Et ces yeux, cette taille, cette couleur de cheveux… Ce sera encore toi. Tout le monde subit des changements au fur et à mesure de sa vie. Les épreuves, les joies, les personnes que l’on rencontre, les endroits où l’on va, les chemins que l’on emprunte. Parfois il y aura des changements plus radicaux, plus rapides, plus violents, mais la personne de base que tu es, ses fondations, sa première couche, elle, sera là à jamais. Et si tu as peur du contraire à cause des autres, ne les écoute pas, ne les regarde pas. S’ils ne comprennent pas, c’est peut-être parce qu’ils manquent eux-mêmes de quelque chose ?

 

 

Lettre

 

 

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