Aujourd’hui resto ! Fauteuil et table basse, tétraplégie et baguettes chinoises.

 

 « Ça te dit on se fait un resto demain midi ?«  Question simple appelant à une réponse simple. Mais vous vous doutez bien que si réellement c’était le cas, cet article n’existerait pas. Parce qu’être en situation de handicap, ça peut amener des paramètres auxquels nous ne pensions pas.

 

Bienvenue dans le monde de la banalité approximative !

 

booyah

 

Et si nous procédions par élimination ? Inutile de s’étaler sur l’accessibilité, il est évident que si déjà nous ne pouvons pas entrer dans un établissement, ça risque d’être difficile de goûter leur velouté d’endives aux éclats de bacon et pain d’épices. C’est l’un des gros soucis lorsque nous souhaitons déjeuner en centre-ville : entre le coût des travaux, les normes à respecter et les lois sur le patrimoine historique ou culturel, peu de restaurants s’adaptent et ce n’est pas toujours un manque de volonté. Que ce soit à cause d’un problème de marches, de largeur de porte, d’intérieur trop petit, de toilettes non adaptées ou de mobilier inutilisable pour quelqu’un en fauteuil, la liste des possibilités dans notre recherche de lieu où manger se restreint de façon assez conséquente. L’été est d’ailleurs appréciable pour ce point là : les terrasses ! Être dehors permet souvent d’avoir plus de place et annule pas mal de possibles désagréments d’accessibilité.

 

Zoomons sur le mobilier : ça vous intrigue ? Parce que oui, parfois il ne nous facilite pas la tâche. Par exemple, certaines brasseries qui veulent se donner des ambiances (cosy, retro, vintage, tendance, futuriste…) remplacent leurs assises par des fauteuils de salon ou par de larges chaises design à formes originales. C’est vrai que visuellement ça peut donner une touche sympa mais ces petites choses là prennent en fait beaucoup de place, rendant la circulation d’une personne sur roues ou avec des aides à la marche (béquilles, rolateurs, déambulateurs…) bien moins évidente voire impossible si l’espace de base n’est pas assez conséquent. Quant aux tables, le problème vient souvent soit de la hauteur, soit du pied. Sur de grandes tables il y a rarement de soucis mais sur des petites de deux personnes notamment, si le pied est au milieu c’est souvent ennuyeux pour s’y installer en fauteuil. Il n’est pas rare de se retrouver obligé de manger éloignés de notre assiette, pas pratique, encore moins agréable ! Et lorsque l’endroit sert aussi de bar, la caisse se trouve en général là où les boissons sont servies, nous nous retrouvons alors à payer face à un meuble d’un mètre vingt de haut ce qui n’est pas sans rappeler la première fois qu’enfant, nous avons eu l’autorisation d’aller chercher notre verre de grenadine tout seul en payant avec notre pièce à nous, comme des grands.

 

Shirley resto

 

Mais enfin ça y est, nous avons trouvé à nous installer et nous voilà face au menu. Certaines  personnes en situation de handicap n’auront ici aucune restriction. Pour d’autres, l’évidence n’est pas toujours au rendez-vous. Prenons par exemple quelqu’un de tétraplégique (atteint aux jambes et aux bras), même incomplet (lorsque tous les muscles ne sont pas paralysés ou à des degrés différents). Si dans une vie intérieure sa passion pour la cuisine asiatique lui faisait adorer manger avec des baguettes, il faudra à présent oublier l’idée… ou la détourner avec des baguettes pour enfants par exemple, plus facilement maniables. L’année dernière, lors d’une réunion des éclopés presque anonymes, nous avons eu la très bonne idée de nous faire une fondue… Nous étions trois tétra sur cinq ou six copains de galère, inutile de préciser lesquels ont le plus souvent perdu leurs morceaux de pain dans la gamelle… Déjà que l’accrocher au pic n’était pas évident, alors l’y garder ! L’avantage quand on met un temps fou à couper sa viande ou à porter son verre à la bouche faute de capacités, c’est qu’on ne risque pas de se sentir mal d’avoir mangé trop vite ! Parce que le pavé de biche aux champignons ou la bavette aux échalotes, ça donne envie c’est vrai, mais lorsque les mains ne fonctionnent qu’approximativement, ce n’est qu’à moitié drôle de se battre avec, couteau aiguisé ou non. Alors c’est sûr qu’on peut toujours exploiter le frère ou l’amie avec qui on mange mais bon, tout couper en avance non seulement ça fait assiette d’enfant mais en plus ça refroidit vite ! Un peu d’exigence ne fait pas de mal à l’estomac… Et puis heureusement pour nous, il existe quelques astuces qui peuvent nous faciliter la vie !

 

 

cuillère ergo

baguettes enfant

 

 

Et des choses à dire, il y en a encore : il existe tellement de handicaps différents que ça multiplie les contrainte possibles pour faire une sortie banale. C’est valable surtout en ce qui concerne la nourriture. Resto ou réfrigérateur perso, les personnes amputées devront surveiller leur poids, ni en prendre ni en perdre, pour ne pas avoir de problèmes avec leurs prothèses. Les personnes (presque) tétraplégiques éviteront ce qui est trop dur à couper, piquer ou ouvrir. Les personnes avec des maladies qui les font trembler éviteront les soupes ou les verres trop remplis. Celles avec des médicaments prendront garde à ne pas se nourrir d’aliments contenant des éléments contre-indiqués.  Celles qui ont des déficits de transits dus à des paralysies ou à des troubles neurologiques oublieront certains plats pour ne pas s’incommoder…

 

À chacun sa tare, à chacun son « régime » c’est vrai, mais tant que manger reste un plaisir, nous continuerons à embêter les gars en salle de restauration pour qu’ils nous poussent les chaises, nous fassent passer une marche ou nous décortiquent notre poulet en cuisine avant de nous le servir. En espérant bien le valoir.

 

 

2 commentaires sur “Aujourd’hui resto ! Fauteuil et table basse, tétraplégie et baguettes chinoises.

  1. Ah ah plus rapide que l'éclair 😉 Bien sûr qu'on le vaut, nous on le sait parce qu'on sait qu'on est des êtres humains à part entière. Malheureusement, il y en aura toujours qui trouveront que décidément "ils nous font suer ces handicapés"

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