Renoncer

Fauteuil et désespoir : à ces jours où j’en ai assez de renoncer.

 

1parenthèse2vies, « le blog d’une handi’optimiste ». Seulement on a beau faire tout ce qu’on peut, parfois l’optimisme n’est pas assez fort. On peut rire, on peut vivre et on peut être heureux, il y a malgré tout des moments pendant lesquels la vie n’oublie pas de nous rappeler que de ne pas avoir toutes ses capacités c’est dur, c’est vraiment dur. À ces jours où j’en ai marre de mon handicap.

 

À ces jours où j’ai un spasme à la jambe juste au moment de mon transfert, ce qui me déséquilibre et me fait tomber au sol.
À ces jours où le coussin de ma douche glisse et que je me retrouve coincée sur mon banc, à mettre vingt minutes pour trouver une parade.
À ces jours où mon fauteuil tombe en rade et que le seul de rechange que l’on puisse me prêter a des freins qui ne s’enclenchent pas.
À ces jours où à cause du froid, de la fatigue ou bien des deux, je fais tomber tout ce que je touche parce que j’ai les mains trop raides.
À ces jours où le bras robot de la voiture lâche le fauteuil avant qu’il ne soit sorti ce qui me fait multiplier le temps de descente du véhicule par trois.
À ces jours où je suis obligée de mettre une serviette hygiénique non pas parce que j’ai mes règles mais juste parce qu’à cause d’une infection quelconque ma vessie a décidé d’être elle aussi spastique.
À ces jours où, pour une raison non identifiée, ma jambe ne cesse de bouger de façon involontaire, me retrouvant à me cogner le genou sous la table ou le pied dans une chaise/un mur/un meuble.

 

À ces jours où…

 

À ces jours où l’on se tait : raconter cette détresse ne servirait à rien d’autre que de laisser un sentiment d’impuissance à nos interlocuteurs, parce qu’ils ne sauront jamais vraiment…

 

Ils ne sauront jamais l’inutilité que l’on ressent de ne pas pouvoir donner un coup de main aux copains quand ils déménagent.
Ils ne sauront jamais le malaise que l’on doit cacher quand on ne peut pas aider à la cuisine et qu’on n’a rien d’autre à faire que juste « mettre les pieds sous la table et attendre que ce soit prêt »
Ils ne sauront jamais la frustration causée par cette porte trop étroite qui nous empêche de tester ce restaurant qui nous faisait pourtant tellement envie.
Ils ne sauront jamais à quel point ça me rend malade de ne pas pouvoir accéder au lieu de vie de mon propre frère.
Ils ne sauront jamais à quel point c’est désespérant de se rendre compte combien la colère a laissé place à l’indifférence quand on veut aller boire un verre dans un bar mais que les toilettes ne sont pas adaptées.
Ils ne sauront jamais le vide qui creuse l’estomac lorsque dans une conversation on va parler d’une chose que l’on adore et qu’on se rend compte dans le même temps que c’en est en fait une qu’on ne pourra plus faire.
Ils ne sauront jamais ce que c’est de vouloir mettre une robe mais de n’en trouver aucune d’assez longue parce que c’est la mode du court, court qui, une fois assis, pourrait tout aussi bien ne pas être là que ça reviendrait au même.

 

Et ils ne sauront jamais…

 

Ils ne sauront jamais ce que ça fait de se cogner dans le porte parce qu’on a mal négocié notre virage avec le fauteuil, d’être considéré comme un enfant de huit ans ou un idiot profond parce que certains confondent handicap physique et handicap mental, de ne pas pouvoir en vouloir aux gens de proposer leur aide même si ça fait cinquante fois qu’on vous le demande en cinq minutes parce que bon, « ça part d’une bonne intention », de voir quelqu’un hyper étonné juste parce que vous conduisez/avez un métier/êtes en couple/ êtes indépendant…,de devoir rappeler régulièrement aux administrations que oui, vous êtes toujours handi et que non, aucun miracle n’a eu lieu entre ce mois-ci et le mois dernier, de ne pouvoir se lever un matin et partir à l’autre bout du monde sur un coup de tête parce qu’il y a un protocole à respecter quand un handi prend l’avion ou le train (et que l’autre bout du monde en voiture c’est un peu loin), de hurler un « pourquoi ? » qui ne recevra jamais de réponse, de devoir renoncer à cette jolie boutique parce qu’il y a trois marches à l’entrée.

 

Renoncer.

 

Renoncer à aller voir ce pote qui habite au troisième sans ascenseur.
Renoncer à ce jeans aux boutons trop difficiles à fermer.
Renoncer à la sortie « accro branche ».
Renoncer aux vacances à Lisbonne (l’une des capitales les moins accessibles)
Renoncer aux randonnées dans les montagnes l’été.
Renoncer à ce concert du groupe préféré dans un lieu sans zone PMR.
Renoncer à jouer dans la neige avec le petit cousin.
Renoncer à quelques rêves.
Renoncer à quelques passions.

 

Mais garder le sourire.
Avoir confiance.
Et aimer.
Surtout aimer.
Parce qu’il faut vivre.

 

 

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10 commentaires sur “Fauteuil et désespoir : à ces jours où j’en ai assez de renoncer.

  1. Outch, vachement joli article!
    Je suis d’accord avec toi pour tout bien évidemment.
    Et je dirais que ce n’est pas parce que tu écris un article de ce genre que tu n’es pas une handioptimiste.
    Ce n’est pas parce qu’on dit tout ce qui n’est pas rose qu’on ne voit que le gris.

    1. Merci ^^ Non c’est vrai, je tiens à montrer qu’on a beau être optimistes, il ne faut pas oublier que le handicap n’a rien de facile, mais je sais que les gens ne sont pas forcément habitués 😉

  2. on ne sait jamais assez la chance que l’on a de ….tout avoir.
    Il faut le vivre même par personne interposée pour le comprendre. Mais même par personne interposée cela fait mal aussi pour elle…..
    La vie est belle mais parfois injuste.
    Et que faire ….ou pas pour soulager ta peine?

  3. Tu avais raison, ton article n’est pas facile mais il est tellement vrai. Rien ne s efface tout se cache. Et tu as fait le choix de te battre. Ces combats pas toujours gagnants à priori mais qui ont fait de toi ce que tu es… Ces combats qui t amènent sur le chemin de la réussite et des surprises. Ne pas se mettre de barrières osez l impossible, ce que tu fais déjà mais je crois que ce n’est qu’un début… Le monde n est pas noir, il n est pas blanc… Il y a beaucoup de gris, ce que l on voit derrière l humour et les situations cocasses. Franchement on ne te lirait pas si tu nous disais que tout est beau et merveilleux

    1. Le renoncement est le quotidien de nombre de personnes malades chroniques ou de personnes handicapées plus ou moins sévèrement engendrant souvent frustrations, colères ou peine. Souvent difficile à admettre et à supporter. Avoir pu et ne plus pouvoir…faire le deuil de sa vie d’avant…plus facile à dire qu’à faire.
      Malgré tout il reste la vie avec ses petits et grands bonheurs. Tant de choses à découvrir.
      Courage. Vous en avez, aucun doute…

  4. Mon dieu Daphnée, j’ai pleuré. Je me sens tellement, tellement, tellement désolée pour toi tout en sachant que ce n’est pourtant pas le bon sentiment à avoir. Et je te trouve tellement forte. Tellement grande. Tellement tout. Je ne sais pas quoi te dire. A part que je t’envoie un énorme câlin par la télépathie et que j’espère que tu le reçois à travers les ondes de l’internet. Je ne te connais pas, et je t’admire tellement.

    1. Non, comme tu dis, il ne faut pas, je ne peux pas dire que ce que j’ai vécu et vis encore n’est pas triste, ce serait mentir. Mais ça n’est pas le sentiment le plus important de ma vie et c’est ça qui compte 🙂
      Merci pour ton câlin et ton soutien, j’espère bien te voir un jour 😉

  5. Waouhhh je suis sans voix ce coup ci… même si j’ai l’habitude de te lire et je me marre souvent ! Là, ça me fait pleurer car tu as (presque ) tout dit, rien à rajouter, tu es merveilleuse, je ferai pas mieux. On s’est parlé en privé au sujet de  » Côté rééduc  » mais tout ce que tu dis là, ya que nous pour comprendre. Moi c’est beaucoup de colère pour « ces jours où  »  » il faut « renoncer  » et  » ne rien dire « , car « ils » ne comprendraient pas … Bisous, Calins ma belle.

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