Lettre à mon fauteuil, compagnon de mon handicap

 

Mon cher Albert,

 

Le choix ne fut pas facile, l’attente elle, fut longue, mais tu as fini par entrer dans ma vie il y a de cela un an et demi. Tu n’as pas eu le privilège de mes débuts puisque tu as succédé aux « vieux », à Panthéra et enfin à Fred. Mais tu es le premier qui étais à moi, le premier qui ne me quitterait pas de sitôt (du moins pas définitivement). À ton arrivée à mes côtés (ou plutôt en-dessous), tu étais le symbole à la fois de la liberté et celui de la dépendance, d’un nouveau départ et de la prolongation d’une situation que j’aurais voulu éphémère. J’ai de l’affection pour toi, autant que je te déteste. En fait j’aurais préféré ne jamais te connaître. Mais je n’ai pas eu le choix, tu es là, c’est comme ça.

 

Lorsque j’écris à ton propos, pour éviter de faire des répétitions il m’arrive de t’appeler « fidèle destrier » et nous savons toi et moi ô combien c’est faux. Mais je ne t’en veux pas, c’est la faute de tes constructeurs qui n’ont manifestement jamais eu à vivre une journée avec toi pour ce que tu es, pour tes fonctions. Ils ne savent pas la vérité, ils ne savent pas, Albert, que tu es une chochotte. Et vas-y que mon cale-pied se dévisse, que mes freins lâchent, que mes roues se dégonflent, que mon châssis pète, que mon dossier se déchire, je préfère en passer. Alors c’est vrai, parfois c’est un manque de délicatesse de ma part, mais en même temps si je devais agir constamment dans la peur que ça te froisse, nous ne ferions rien. Je te trouve parfois bien égoïste de me lâcher en m’abandonnant avec un vieux fauteuil datant d’avant guerre, ou avec un standard, paquebot qui m’oblige à devenir casanière. Je t’ai emmené voir du paysage, que ce soit en France ou à l’autre bout du monde, tu as pris la voiture, le bateau, l’avion, et nous nous sommes même envoyés en l’air tous les deux, retenus que par la toile d’un parapente. Mais revenons sur la voiture : monsieur est quand même largement favorisé non ? Toute la place arrière qu’il prend ! Il a son petit bras électrique qui l’installe gentiment et moi je me retrouve avec la possibilité de n’avoir qu’un seul et unique passager. Alors, Albert, tu ne pourras jamais te plaindre de n’être que la cinquième roue du carrosse : tu en es la première, la deuxième, la troisième et même la quatrième, aussi petites soient les deux dernières.

 

Avec toi les regards que je reçois ne sont pas toujours justes, à cause de toi même plutôt, je suis chaque jour étiquetée de préjugés et d’idées fausses. Mais sans toi je sais qu’ils seraient pire bien que moins nombreux car sans toi, je serais une pauvre petite chose alitée qui survit plus qu’elle ne vit. Parfois je te maudis lorsque nous nous retrouvons (trop souvent) devant une marche trop haute, un trottoir pas assez large, une porte étroite… Je te maudis d’être là même si ce n’est pas ta faute mais plutôt de ces bipèdes qui ne se sentent pas concernés par ce qui n’est pas eux. Architectes, politiciens, constructeurs, ingénieurs… eux devraient faire ta connaissance : notre vie serait peut-être plus simple. Tu ne te cognerais plus partout, je pourrai t’emmener où je veux. Mais c’est pas demain la veille, et quelque soit les résultats de la présidence cette année ça n’a l’air de vraiment préoccuper aucun de ceux qui veulent pourtant représenter tout citoyen français. Je suis citoyenne française mais nous sommes petits mon Albert et l’on nous voit que lorsqu’on le veut bien.

 

Il nous arrive toi et moi de croiser de tes semblables. Parfois ils me donnent un regain de fierté, me permettent de dire qu’avec toi, je ne suis pas si mal. Seulement il arrive que ce soit le contraire. Ne te vexe pas Albert, mais tu n’es pas la Roll Royce de ton genre. Il y a plus léger, plus adapté, plus discret. Mais « cher Albert » nous connaissons tout deux ton prix déjà, imaginons sans mal et avec regret ceux qui te surpassent. Même si pour ta venue j’ai reçu un coup de pouce financier, il ne pourra être réitéré que cinq ans après le premier. Donc mon Albert tu vois, il va falloir se soutenir encore un certain temps. Peu importe que j’avance, que je gagne en capacité et que petit à petit tu prennes à mes yeux la valeur de ce bon vieux Windows 98, le changement ce ne sera pas pour tout de suite.

 

Albert, mon cinquième membre (l’avantage d’être une fille c’est que je peux dire ça sans que ça ait l’air louche), j’ai beau vouloir de tout mon cœur et de toute mon âme te faire disparaître de mon quotidien, il faut voir les choses en face, pour le moment (et en CDI) nous ne devons faire qu’un. Alors de la même façon que je me rachète des chaussures lorsque les miennes sont usées (on se demande bien en faisant quoi !), je te rachète des poignées lorsque les tiennes ne vont plus et les jours (que dis-je les jours ? Les semaines !) pendant lesquel(le)s tu es en réparation (ce qui arrive bien trop souvent) je me sens comme démunie.

 

Ça a quelque part un côté affreux de dire que tu es une partie de moi, même si c’est le cas. Ensemble nous galérons,ensemble nous tombons mais ensemble nous avançons aussi, et c’est ça le plus important.

 

 

 

 

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20 commentaires sur “Lettre à mon fauteuil, compagnon de mon handicap

  1. Très joli texte, et j’espère qu’il aidera ma jeune adolescente qui malgré son autonomie reste dépendante de son fauteuil au collège et qui le vit très difficilement actuellement…

    1. Merci Hannah, j’espère pour elle aussi. Ce n’est pas toujours facile de supporter les regards que suscite le fauteuil, surtout quand on est ado, mais il ne faut pas qu’elle se décourage. Il faut le voir comme un allié. Et puis ce que pensent des gens qui ne sont dans sa vie que pour un ou deux ans ce n’est pas important, ce qui est important c’est l’amour de ceux qui lui sont vraiment proches 🙂

  2. j’ai ris, et mon passage préféré: À ton arrivée à mes côtés (ou plutôt en-dessous)!!
    Que dire, je plussoie TOUT!
    Tiens ça te dirais de faire en commun un article sur ce thème: c’est dure de choisir un fauteuil et soyons honnête on n’est pas toujours très bien conseillé.
    Du coup j’en avais déjà fait un mais je pense refaire plus un article vraiment mode d’emploi. Vu que l’on a pas le même handicap le faire à deux pourrait être intéressant sans oublier l’humour bien sur parce que je suis comme toi mon carrosse c’est mon ami pour la vie (comme on disait en école primaire!)!

    1. Bien sûr que je veux bien ! J’en avais parlé aussi dans un ou deux article, mais le faire toutes les deux permettra d’avoir une autre approche 😉 Tu me redis ça en mp !

  3. bravo pour ce joli texte plein de lucidité et de tendresse ; on sent malgré tout ton enthousiasme à vivre, progresser et sublimer ton quotidien ! je n’ai pas donné de nom à mon fauteuil moi… mais je l’aime moi aussi, c’est mon allié pour sortir où je veux et quand je veux… pas encore eu de panne, ouf ! je le trouve encombrant mais confortable… il est sur que pour le prochain je ne me laisserai pas dicter mon choix ! tout ce que tu as écrit je le pense également , encore bravo à toi

    1. Merci beaucoup Val, il paraît que le premier n’est jamais le bon, malgré il reste le premier et on s’y attache à ces p’tites bêtes là finalement (on n’a pas le choix, autant que ça se passe bien !)

  4. Je trouve cet article tellement touchant et bien écrit..!

    « tu étais le symbole à la fois de la liberté et celui de la dépendance ». Cette phrase est tellement forte…

    Bravo pour ce billet 🙂 je découvre ce blog, et je reviendrai

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