Doug, chien de Là-Haut (Pixar-Disney)

Mon fauteuil électrique, ce compagnon dont j’ai honte.

 

 Vous connaissez mon fauteuil, il a fini par devenir une entité à part entière dans ma vie comme sur le blog. Vous suivez les aventures d’Albert en même temps que les miennes et je vous ai déjà montré à quel point je l’aime comme je le déteste. Seulement voilà. Albert n’est pas le seul être à roues de ma vie. J’ai un fauteuil électrique. Et il s’appelle Pile Poil.

 

 

Extrait du film d’animation Toy Story 2 (Pixar-Disney)

 

 

L’amoureux caché

 

Mais vous voyez Pile Poil, c’est le petit copain qu’on n’assume pas. Celui qu’on aime bien mais dont on a un peu honte parce ce que bon, c’est l’intello de la classe et que ça fait pas swag/cool/in/branché de sortir avec l’intello de la classe.

 

Il est intelligent et vous passez des soirées à discuter avec lui sur des sujets tantôt passionnants, tantôt drôles. Il fait les croque-monsieur à la perfection (vous avez quinze ans, il ne va pas vous cuisiner du magret de canard non plus, remettons les choses dans leur contexte !) et sais toujours quoi vous dire pour vous remonter le moral. Oui, seulement les autres ils ne voient pas tout ça. Eux ce qu’ils voient, c’est le look un peu passe-partout, les lunettes de geek, la place au premier rang et la collection de bonnes notes qu’il accumule. Le mec ennuyeux sans vie en somme.

 

 

Gif Tobey Mc Guire Spiderman
Tobey Mc Guire dans Spiderman

 

 

Pile Poil, c’est mon geek à moi. Il me permet de me verticaliser chaque soir (me tenir en position debout) ce qui me fait du bien aux jambes. Il m’aide à travailler sur mon hypotension et quand il pleut ou qu’il fait froid alors que j’ai une course à faire, il m’offre une possibilité de sortir et de la faire vite fait malgré le temps. Oui, seulement les autres, ils ne voient pas tout ça. Eux ce qu’ils voient, c’est le fauteuil pour « les handicapés lourds » ou pour les feignants, c’est le truc qui prend trop de place sur la route mais qui, s’il est sur le trottoir, va trop vite et semble presque dangereux.

 

 

Le fauteuil qui fait « trop »

 

Cette semaine j’ai dû aller à ma séance de kiné avec Pile Poil car l’une des roues à propulsion électrique d’Albert est en rade. Et j’ai détesté ça. Déjà parce qu’au cabinet où je vais maintenant, ils ne l’avaient jamais vu. Ensuite parce que je n’assume pas d’en avoir parfois besoin.

 

J’ai tellement travaillé dur à (re)devenir indépendante, à pouvoir me débrouiller malgré mon handicap, et j’ai encore tellement la nécessité d’en permanence le prouver à moi-même (et un peu aux autres), que l’idée que l’on puisse m’imaginer « plus handi » que je ne le suis m’est insupportable.

 

 

Gif Intouchables check
Gif extrait du film Intouchables avec Omar Cy et François Cluzet

 

 

Cette façon de penser est absurde. J’en ai conscience. Mais j’ai conscience aussi de vivre dans un pays dans lequel les gens ont pris l’habitude de voir les choses négatives avant de voir le reste. Nous avons le vilain défaut de dire « il fait chaud » avant de dire « il fait beau », de dire « Il y a un petit détail pas top ici » avant de dire « Mais c’est vraiment une belle photo ! », d’annoncer un « c’est impossible ! » avant de réfléchir à un « Quoi que… ».

 

Et Pile Poil à beau arborer un châssis d’une superbe couleur rose fuchsia, j’aurai beau être bien habillée, bien maquillée, me tenir droite et ne pas baver (incroyable n’est-ce pas), j’aurai toujours l’impression de sentir des regards encore plus fuyants que lorsque je suis en fauteuil manuel. Déjà parce que la seule image que l’on a du handicap dans un fauteuil électrique, pour beaucoup c’est celle d’Intouchable dans laquelle il ne peut même pas manger en autonomie. Ensuite parce que…

 

Parce que moi-même j’ai cette vague pensée là lorsque je croise d’autres handi en électrique (que je ne connais pas). Vous savez, ces pensées réflexes qui parfois ne passent qu’une demi-seconde avant que la vraie pensée structurée et raisonnée n’arrive ? Souvent, elles sont dictées par la société et l’éducation qui, en bien comme en mal, nous ont conditionnés. Conditionnés à ce dont on a l’habitude, conditionnés à des généralités, conditionnés à ce que l’on a vu, connu, appris.

 

 

Agnan, le Petit Nicolas
Même Agnan ne sait pas, alors si Agnan ne sait pas… – Image du film Le petit Nicolas

 

 

Sujet tabou et ignorance problématique

 

Or on n’a jamais eu de cours sur la société, de cours sur les différences. On sait comment fonctionnent les primates, comment vivent les fourmis, comment interagissent les chiens, mais on ne nous a jamais expliqué à l’école ce à quoi pouvait ressembler la vie d’un humain avec « un truc en moins ».

 

D’ailleurs lorsque je parle de mes conférences aux écoles, bien souvent les directeurs voient d’abord l’aspect financier de la chose (parce que c’est mon métier quand même), en oubliant que le sujet n’est pas (ou du moins ne devrait pas l’être) juste un thème vague ou flou. Ma vie entourée d’Albert et Pile Poil, ça pourrait devenir celle de n’importe qui à n’importe quel moment, et même si aujourd’hui je suis heureuse malgré lui, je ne souhaite mon handicap à personne.

 

Ainsi donc j’aime Pile Poil. Mais en secret. Alors je ne le sors pas beaucoup (j’essaye), je le cache même, chez moi. S’il n’était pas un fauteuil électrique il pourrait être un fugitif. Mais ce serait presque romantique. Tandis que là c’est dommage. Ça n’est pas une vie pour un fauteuil. Heureusement que je le traite bien, je me sentirais coupable.

 

 

Fauteuil électrique verticalisateur
Pile Poil – Fauteuil verticalisateur P-Access de Power Stand

 

 

Edit : Après avoir discuté de l’article avec d’autres handi, je vais préciser que je ne parle ici que de mes ressentis personnels (dont je voudrais bien me passer du coup). Mais effectivement, certains ont eux le sentiment inverse ! Le quotidien des uns n’est pas celui des autres. Le mien est en fauteuil manuel, alors quand je change de destrier je ne suis pas à l’aise. Normal. Et le contraire existe : c’est ce qui fait la diversité du handicap que je rappelle régulièrement. Pas deux handicaps réellement identiques. Ajoutez à cela pas deux être vivants identiques et vous obtenez un évident… pas de règles 😉

 

 

9 commentaires sur “Mon fauteuil électrique, ce compagnon dont j’ai honte.

  1. Merci pour cette « confession » et surtout nous aider à réfléchir sur ces pensées réflexes qui nous polluent. Voire comment customiser encore plus Pile Poil pour mieux passer incognito. Plein de bisous à vous

  2. alors d’abord…..moi je n’ai jamais vu que tu bavais?……!!!!! nan j’rigole
    bon sérieusement: j’aime bien l’animation de ton fauteuil. Il est vrai que je l’aime bien aussi celui-ci mais j’ai eu le temps de l’apprivoiser!
    Bon alors OK tu as tout à fait raison quant à cette 1ère idée idiote que nous avons en voyant quelqu’un en fauteuil. Et pourtant nous sommes à bonne école avec toi. Mais effectivement notre société n’accepte pas ou mal les exception. Nous jugeons d’abord avant de « savoir ». Et ce n’est pas simple de combattre cette mauvaise habitude.
    Bon courage.

    1. J’ai effectivement encore bien du boulot pour ce qui est de la sensibilisation au handicap : les personne qui ne connaissent pas du tout le sujet ne font pas la différence entre para, tétra ou autres. De la même façon, certains ne savent pas toujours qu’avoir un fauteuil manuel ou un fauteuil électrique ne dépend pas que de notre « état » et que c’est la raison pour laquelle nous sommes beaucoup à avoir même les deux ^^

  3. Pour vous exprimer le point de vue de quelqu’un qui n’est pas PMR, je pense qu’en effet oui quand je vois une personne en fauteuil électrique, je pense spontanément que cette personne a un handicap plus lourd qu’une personne an fauteuil manuel. Je suppose que c’est parce qu’on se dit que c’est une question de proportionnalité du dispositif: on se dit, si cette personne utilise un dispositif aussi lourd/encombrant, c’est qu’elle en a besoin et que donc elle ne peut pas faire sans.

    1. Merci beaucoup pour ce point de vue ! C’est normal que les « pensées réflexes » n’aillent pas chercher très loin, l’essentiel est justement que tout le monde puisse la remettre en question et réfléchir ensuite sur quelque chose de plus juste 🙂

  4. Coucou, tout d’abord merci, je trouve ton article criant de vérité. ?
    Ensuite, étant moi aussi a roulettes, je comprends très bien ces situations, mais perso, je n’y fait plus attention, je suis en fauteuil manuel avec assistance électrique et depuis que j’ai franchi le pas. Ben je ne le regrette pas, alors oui, je reste en Frm aux yeux des gens mais je garde toute mon autonomie. C’est pour moi la meilleure des solutions et de ce fait c’est celle que j’assume entièrement.
    Je ne pense pas que le regard des gens autour change réellement mais c’est plutôt notre perception du regard des autres qui change. ?
    Bonne route et longue vie à Albert ? sans oublié Pile Poil ?

  5. J’arrive presqu’un an après l’article. Je voulais partager ma vision naïve. Avant de te rencontrer Daphnée je n’avais aucune idée des différents usages des différents fauteuils. Je pensais qu’il s’agissait plus de choix ou de pragmatisme . Jamais je n’ai « classé  » les personnes en fauteuils , peut-être parce que les 1ers que j’ai réellement rencontré étaient en fauteuil juste en CDD pour une hanche de cassé , des jambes abîmés , des suites d’un avc « léger « . Bref, je me suis toujours dit qu’on ne sait pas si la personne a cette aide temporairement ou pour plus longtemps , quoi qu’il en soit, on a tous besoin d’aide un jour ou l’autre! ?

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