Ceux qui ont l’habitude de me lire le savent, ceux qui me suivent depuis un certain temps maintenant également, mais il se trouve que j’ai fait des études en communication. J’ai eu mon accident au cours de mon année de spécialisation, davantage tournée vers la création et la stratégie visuelle incluant des notions (et même plus) de graphisme.
Dimanche dernier j’étais en terrasse avec les copains pour boire un coup et nous avons eu une discussion très sérieuse sur l’intérêt de nos métiers respectifs aux yeux de l’État (Passionnant n’est-ce pas ?) Lorsque l’un d’eux à sous-entendu que la communication se trouvait loin dans le classement, il avait beau faire une affirmation à la fois objective et véridique, je n’ai pu lutter contre le fait d’être vexée. Pire même en rentrant chez moi, je me suis rendue compte que ça m’avait blessée en fait, ce qui m’a poussée à pas mal réfléchir.
Au début j’ai cru que c’était une histoire de fierté, jusqu’à ce que la réalité me frappe : c’était une histoire de société. De société, et de valeurs qu’elle nous donne. Quoique l’on fasse quoique l’on dise, on a beau prôner l’égalité pour tous aujourd’hui, il n’empêche qu’une personne qui travaille sur des chantiers ou dans un supermarché ne sera sûrement pas considérée de la même façon que l’ingénieur de la grosse entreprise d’à côté. Mais quel rapport avec le handicap ? Car enfin cette vérité touche autant les valides que les handis n’est-ce pas ? Évidemment. Seulement vous vous en doutez comme d’habitude, il y a un mais.
Lorsqu’on est en situation de handicap donc, on part avec un large désavantage. Quelque part nous sommes constamment sous-estimés quels soient nos métiers. Un valide aura toujours du mal à croire qu’un handi puisse avoir les mêmes compétences que lui et surtout, qu’il puisse s’en servir de façon aussi correcte (imaginez quand en plus il le fait mieux !)
Déjà parce qu’à la base un handi ça n’est pas censé travailler, comme ça ne se met pas en couple, comme ça ne vit pas seul, comme ça ne sort pas non plus. Trouvez-vous que j’exagère ? C’est parce que vous ne voyez pas la tête de certaines personnes lorsque je leur annonce que j’ai une voiture (et que ô miracle, je la conduis en plus !) Face à ce genre de réaction je prends un malin plaisir alors à enchaîner sur mes histoires de voyages, de parapente, ou de vol en soufflerie : leur silence hébété et douteux vaut le détour !
Mais revenons-en à la question de l’activité professionnelle. Vous savez, nous savons, trouver du travail ça n’est pas facile (non il ne suffit pas de traverser la rue et cogner à la porte d’en face, toujours pas) Vouloir gagner sa vie quand on est en fauteuil, qu’on a un bras en moins, un œil qui part sur le côté ou une endurance diminuée, c’est encore pire : bienvenue à l’ascension du Mont-Blanc. Difficile et fastidieux. Pas à la portée de tout le monde non plus malheureusement. Alors parfois malgré nous, moi en tout cas, j’ai l’impression d’avoir moins de valeur qu’une personne en pleine possession de ses moyens.
Nous vivons dans un monde dans lequel les métiers des uns et des autres sont ce qui nous identifient face aux inconnus, c’est la première question que l’on se pose : après les noms, prénoms et âges, vient le fatidique « Et qu’est-ce que vous faites dans la vie ? » Mais quand on est handi, cette interrogation disparaît au profit d’un « Et qu’est-ce qui vous est arrivé ? » intrusif.
Parfois je me demande comment les valides imaginent une journée d’handi… Est-ce qu’ils croient qu’on se fait habiller, laver, nourrir, qu’on regarde un film, qu’on commande nos courses sur internet et qu’on recommence dans le sens inverse pour finalement se recoucher à neuf heures du soir ? Sans doute n’imaginent-ils rien tout simplement…
Oui je suis handi ET je travaille. Il faut dire aussi que je ne me suis pas facilité les choses : annoncer que je suis conférencière passe plutôt bien. Enchaîner sur un « je suis blogueuse également » et je perds beaucoup en crédibilité (inconvénient des nouveaux métiers, sans formations officielles). La tête du dernier médecin à qui j’ai dit que c’était une partie de ma source de revenus, si vous l’aviez vue !
Est-ce seulement moi où cela concerne t-il tous les handis, mais j’ai le sentiment de constamment devoir prouver que je suis autant capable que les autres, valides ou non. La communication est une voie que j’ai choisie par hasard. Par chance, je m’y suis trouvée parfaitement à ma place. Si je n’avais pas été dans ce secteur là, comment aurais-je rebondi après mon accident ? Autrement sûrement, mais ce que je veux dire dans mon cas c’est qu’il ne suffit pas d’avoir ce que certains appellent « des facilités pour écrire » ou d’avoir un caractère sociable pour faire ce que je fais aujourd’hui. Il y a tellement plus derrière : les partenariats ne sont pas des choses qui vous tombent dessus sans prévenir. La plupart du temps c’est le résultat de beaucoup de travail de recherche, de temps d’échanges. L’année dernière j’ai envoyé près de 400 courriers pour promouvoir mes conférences. 400 courriers pour assez peu de retours parce que c’est comme ça que ça marche à l’heure actuelle. De la même façon, si je n’avais pas entretenu mes bases en graphisme, je n’aurais jamais pu sortir un logo, des couleurs, une structure qui je ne sais pas vous, mais moi me conviennent plutôt bien. Or le visuel, l’identité d’un support média, c’est essentiel pour attirer et conserver un lectorat.
En écrivant tout ça je me rends compte que si les paroles de ce copain m’ont autant touchées c’est parce qu’au-delà d’être une vocation pour moi, la communication a été une alliée malgré un changement de vie que je n’ai pas choisi. Elle m’a servi de fil conducteur et c’est au moins ça que je n’ai pas perdu en même temps que l’usage de mes jambes. J’étais une communicante avant, je suis une communicante maintenant ce qui signifie que sur ce point-là au moins j’ai fait ce que je voulais.
Je souhaite à tout le monde d’aimer vos métiers autant que j’aime le mien quel que soit votre niveau, vos compétences, ou la façon dont ils sont perçus par les autres. Bien sûr qu’être un scientifique ça fait plus sérieux, plus sûr financièrement parlant aussi, mais la vraie question n’est-elle pas de savoir si notre métier nous permet de nous épanouir et de nous dépasser ?
PS : Gamine on m’a appris que moins par moins fait plus donc une situation pas top (handicap) alliée à un métier perçu comme étant bof (la communication), ça ne peut donner qu’un résultat positivement magique alors… Bienvenue dans 1parenthèse2vies !
CQFD. Toujours si juste!!!!!!
Ghislaine
Merci Ghislaine 😀
je suis aussi handi moteur et j’ai aussi toujours l’impression de devoir me justifier ou même d’en faire 4fois plus 🙂 tes articles me font du bien merci 🙂
Je suis contente de faire que tu te sentes moins seule face à cette saleté d’impression <3
Sans parler du fait que tu es une femme…..Ma pov’ on ne t’as pas fait un cadeau ce jour là. Parce que manisfestement il semblerait que dans notre société soit disant « évoluée » la première ségrégation (avant même ma race, c’est dire!) est le fait d’être une femme . Pourtant , lorsqu’on travaille dans une équipe on s’aperçoit vite que la mixité apporte toujours des choses positives. Tant en comportement qu’en brassage d’idées. Et je parle bien de mixité dans les deux sens!
je ne sais pas comment améliorer ça mais il le faudrait vraiment. Et effectivement avec ou sans handicap un humain valable reste un humain .
Si on résume votre situation, le métier de la communication avec un handicap en plus sont 2 situations compliquées à gérer. Mais le plus étonnant dans tout ça c’est que le fait que vous soyez aujourd’hui personne à mobilité réduite et blogueuse constituent une force pour vous. Alors je ne dirai même pas que moins par moins ça fait plus mais plutôt plus par plus ça fait plus car être une PMR et avoir un équipement PMR au quotidien ne fait pas de toi quelqu’un de « moins » mais plutôt quelqu’un de plus fort qui sait à la fois gérer son handicap et à la fois gérer son quotidien de femme blogueuse alors soit optimiste !