J’aime à rappeler régulièrement qu’une personne en situation de handicap n’est pas si différente que n’importe quel autre valide. La bloggeuse de Poilaucoeur m’a d’ailleurs écrit « Je pense qu’on fait partie de la même génération de « jeunes handicapées assumées ! »
Cependant « assumer » n’est pas « accepter » en ce qui me concerne. De même qu’inconsciemment, il y a toujours cette gêne de l’anormal. Car nous auront beau dire ce que nous voulons : passer du stade « debout » à « assis », c’est être dépossédé, et je n’oserais entamer une liste de quoi.
Dans la vie de tous les jours, je revendique en effet mon état : s’il met quiconque mal à l’aise, qu’il passe son chemin. Nous sommes tels que nous sommes et personne ne le mérite, mais ça ne nous empêche pas d’exister et de se sentir bien qui plus est.
Quand je vois combien il existe des gens incroyables bien qu’ handicapés, je ne peux avoir honte de moi. Pourtant, je me surprends parfois à vouloir arrêter les secondes qui défilent lorsque je me retrouve dans une situation similaire à ce que je pouvais rencontrer « avant ». Une situation dans laquelle il n’y a plus de fauteuil. Pour que vous compreniez mieux, voici un ou deux exemples.
Cet été, j’ai pu tester ma tolérance (ou plutôt celle de mon corps) à la route : 3h en voiture, je n’avais pas fait de si long trajet depuis mon accident (mon maximum avait alors été de 20mn tout au plus) Outre que cela se soit très bien passé, je me suis même surprise à souhaiter que cela se prolonge. La raison est simple : sur le siège de la voiture, pas de handicap, pas de fauteuil et pour peu que je fasse abstraction de ma réalité, un sentiment de « comme s’il ne s’était rien passé. »
Jusqu’à il n’y a pas si longtemps, lorsque je me transférais dans mon lit, c’était pour y rester : les passages entre deux plans n’étaient pas pleinement maîtrisés et me demandaient de grands efforts. Aussi lorsque je recevais de la visite en fin de journée, c’était pour me présenter alitée. Pas top, vous imaginez. A ce moment- là, je me souviens de deux de mes amies qui avaient pris pour habitude de s’asseoir ou s’allonger sur le lit avec moi. Nos retrouvailles prenaient des allures de réunions entre étudiantes (l’objet n°1 de cette espèce d’individus, après le réfrigérateur, étant la literie). Nous étions assises toutes les trois sur la couette : un jour à discuter, l’autre à se goinfrer de bonbons ou à jouer aux cartes. Quiconque d’inconnu n’aurait pu, en entrant, savoir au premier abord qui était la patiente. Je n’y ai repensé que la semaine dernière et je me suis aperçue combien ça m’avait été précieux…
Il est vrai que nous faisons beaucoup d’autodérision, que pour continuer à vivre chaque journée il faut pouvoir s’accepter. Cependant, même si nous réussissons à nous assumer, il nous est tout aussi important que les autres le fassent en ce qui nous concerne. Il est bon de sentir que nos proches n’ont pas honte de nous et se souviennent de la personne que nous sommes vraiment. Certains se sentent tout gêné lorsque, par erreur, ils nous demandent quelque chose que nous ne pouvons faire. Le temps de quelques secondes, ils ont « oublié » que nous n’en sommes pas capables. Mais contrairement à ce qu’ils pensent, rien n’est plus plaisant que ces légers soucis de mémoire parce que ça nous prouve que pour les gens qui nous aiment, nous sommes encore là « nous » en tant que personne, non en tant qu’handicapé ou que fauteuil.
En discutant de tout cela avec l’un de mes compagnons de galère, nous nous sommes rendu compte d’une chose. Les fois où nous avons peur de l’image que nous renvoyons, ce n’est pas parce que nous ne nous aimons pas, mais bien parce que nous savons que les gens nous jugent. F. a une cicatrice sur sa jambe et si elle se sent gênée ce n’est pas par les souvenirs que ça lui rappelle ou pour son esthétisme mais plutôt par les regards que cela suscite.
Ainsi donc, il est important pour nous de se sentir « autre chose » qu’un fauteuil comme il est important qu’autrui passe outre cet élément.
"Les fois où nous avons peur de l’image que nous renvoyons, ce n’est pas parce que nous ne nous aimons pas, mais bien parce que nous savons que les gens nous jugent." et tout ça ne reste pas restreint a l'handicap, ça c'est une condition de l'être humain.
Le regard de l'autre ça peut toujours faire mal, donc il faut bien faire le tri entre les regards que comptent pour nous et le reste.
Oui, ma belle le regard est une arme à double tranchant. On ne sait si c'est jenfoutisme ou pitié, voyeurisme ou incrédubilité,compassion ou jugement. Il nous reste à trier et supporter, mais toujopurs rester soi même, comme tu le fais si bien depuis 21 mois;;;!!!!
Sinon si t'es libre le 11 octobre prochain, je déménage… Oups j'avais oublié ! 😀 Bon OK je sors…
Une anecdote. Un jour dans la piscine municipale, une amie fait des longueurs et regarde une personne qui arrive à la hauteur de sa ligne (va-t-elle partir en sens inverse, quelle sera sa trajectoire par rapport à moi, où va-t-on se croiser, la routine quoi…). Arrivée près de la personne qui ne bougeait pas du bord, elle se fait agresser sur un ton violent : "Qu'est vous avez à me regarder comme ça ? Vous voulez ma photo, hein ?" Ahurie, mon amie se récrie, ne comprenant rien, et devant la véhémence, ignore cette personne et repart pour ses longueurs, en se disant que décidément, il y a de drôles de gens sur terre. Revenant près du bord, la dame décomposée et presque en larmes se confond en excuses et s'explique : elle a de grandes cicatrices de brûlures sur le corps, c'est sa première sortie à la piscine depuis son accident, et elle est terrifiée du regard des autres.
Nous parlons un moment ensemble, cette femme mon amie et moi, la rassurons sur le fait que dans le bassin, personne ne peut voir ses cicatrices, et nous l'assurons que nos regards n'avaient rien à voir avec son handicap. Elle nous explique ce terrible sentiment d'être un monstre, moche, pas comme les autres, et de se sentir agressée au moindre regard. Nous l'avons quittée pas rassurée, mais soulagée d'avoir pu parler. J'ai compris ce jour-là que le langage des yeux est d'un remarquable imprécision, et que rien ne vaut la parole…