entre amis

Amis éclopés / amis valides, la comparaison inutile.

 

 

« Alors, elle était bien ta soirée entre éclopés ?

 

– Parfaite !

 

– Qu’est-ce qu’ils ont déjà ?

 

– N. est para suite à un accident de luge et F. a la maladie de Crohn, en plus d’un autre problème que les médecins ne lui trouvent pas.

 

– Ah oui, c’est vrai, tu m’en avais déjà parlé de ces amis… Elle était toute seule N. quand elle a heurté le mur ?

 

– Bonne question. Je n’en sais rien. À y réfléchir, on ne parle pas tellement de ça ensemble. Je veux dire, on est en fauteuil : quand on est juste tous les trois, ça devient la normalité et ça ne nous intéresse pas d’avoir le compte-rendu complet du pourquoi ni même du comment, ça nous « intrigue » moins que les valides je crois…

 

– Bah, vous ne parlez pas de vos « expériences » ?

 

– De nos expériences oui, de leur origine pas forcément. Est-ce que c’est vraiment le plus important ? D’accord, le point de départ est ce qui va entraîner tout le reste, mais il nous importe davantage d’évoquer le chemin parcouru, c’est aussi là que sont nos différences. Donc là qu’est l’intérêt de le partager.

 

– Tu ne vas pas me dire que vous avez tous eu le même problème ! La preuve en est de ta réponse lorsque je t’ai demandé ce qu’ils avaient eu.

 

– Oui, mais ça ne sont que des anecdotes. Que ce soit un accident de sport, un accident de la route, une maladie, une malformation, quel que soit cet élément qui nous a fait basculer de valide à handi, l’idée est la même : on est dans une galère. Pas la petite barque en bois pour aller pêcher le dimanche, non. Plutôt le gros bateau égyptien de l’antiquité avec 100 rameurs et un tambour pour mener la cadence tu vois ? Et sans potion magique bien sûr. Mais ce qui fait que nous devenons la personne d’aujourd’hui, les amis que nous sommes désormais, c’est la façon dont nous avons décidé de mener le navire et de garder le cap tu comprends ?

 

– Mouais… Mais vous parlez de quoi du coup ?

 

– Comme toi quand t’es avec des collègues de boulot devenus des amis aussi : nous parlons beaucoup de choses qui ne concernent que « nous les handi », de la même façon que vous ne parlez que de choses entre « vous les commerciaux ». Termes techniques, préoccupations communes ou sujets qui nous enflamment auxquels des qui ne sont pas handi pour moi, pas commerciaux pour toi, n’y verraient aucun intérêt si tant est qu’ils y comprennent quelque chose. Et à part ça ma foi, nous sommes des êtres bien banals, tout à fait pareils à n’importe qui : se raconter nos journées, parler du dernier scoop vu à la télé, discuter déco et fringues, râler, débattre, rire, s’interroger…

 

– Je vois ce que tu veux dire… Je t’ai déjà entendu parler de fauteuil avec un autre de tes compères et vous auriez tout aussi bien pu parler chinois que je n’aurais rien saisi de moins… Un peu quand je te parle biochimie en fait… entre autres !

 

– Je ne vois pas du tout de quoi tu parles…

 

– Ça doit te faire du bien de passer du temps avec des personnes qui… savent…

 

– Avec mes amis valides, soit j’oublie mon handicap, soit je l’explique. Avec mes amis éclopés, il est inclus comme étant ce qu’il est : partie intégrante de moi, de ma vie…

 

– Et c’est mieux ?

 

Ça n’est pas comparable. J’ai besoin de l’un comme de l’autre. Parfois, il y a des choses que je n’ose pas dire, ou répéter, évoquer aux copains valides. Par pudeur, par précaution, par conscience de l’incompréhension…

 

– Il y a des choses sur ton handicap que tu ne me dis pas à moi ?

 

– Bien sûr. Tu auras toujours plus de facilités à dire « j’ai mal » lorsque tu t’es coupé au doigt à quelqu’un qui s’est déjà coupé le doigt un jour. Parce qu’il évaluera la justesse de tes mots, parce qu’il saura exactement ce que ça fait donc comment réagir, quoi faire, quoi dire. Parce que vous aurez en commun la quête du pansement parfait, les anecdotes liées à cette « blessure », la guérison aussi. Quelqu’un qui ne s’est jamais coupé le doigt jugera, quel que soit ce jugement. Il se fabriquera une idée, une impression, une opinion, mais ce ne sera que le fruit de son imagination, aussi proche de la réalité qu’il sera.

 

– Je ne sais pas si je dois admettre comprendre parce que c’est le cas, ou si je dois quand même me vexer…

 

– Il n’y a aucune raison de l’être. Je te l’ai dit, les deux sont indispensables. D’un côté il y a les compagnons de galère avec lesquels je peux parler handicap sans le moindre frein, de l’autre les copains à capacités 100% avec qui j’en parle moins mais qui, du coup, me le font souvent oublier. Oui tiens, c’est ça : les premiers me le font accepter, les seconds me le font oublier. Tu choisirais entre l’or et le diamant si les deux t’étaient offerts ?

 

– Tu vois toujours tout bien toi hein… c’est déconcertant parfois…

 

– Tu sais parfaitement que c’est faux. Seulement j’ai conscience que si je ne regarde pas la vie avec un œil positif, personne ne le fera à ma place, or ce serait gâcher de nombreuses choses que de se renfermer sur ce qui ne va pas. Peut-être que demain, je n’y croirai plus à ces mots, mais ce ne sera qu’un passage. L’essentiel les jours où il fait gris, c’est de ne pas fermer les yeux pour se dire qu’il fait noir.

 

– Dumbledore ?

 

– Le remix. »

 

 

 

 

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3 commentaires sur “Amis éclopés / amis valides, la comparaison inutile.

  1. <>.
    Et voilà, c’est si simple finalement. Et applicable à tout un chacun.
    D’ailleurs je me demande si les psy apprennent le « Dumbledore » dans le texte? Ils devraient. Cela aiderait surement leurs patients!
    En attendant je crois qu eje vais me refaire la série.
    Clearvador

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