Hier matin je me suis réveillée avec une motivation à faire pâlir d’envie Napoléon et ses rêves de conquêtes. Je n’ai pourtant pas dormi beaucoup.
Dans une nuit et deux journées de travail, ça fera six ans que j’ai eu mon accident et comme chaque année, sans que je n’ai envie d’y penser, cela m’amène à m’interroger. À m’interroger sur la vie, la mort, l’existence… Non je plaisante, faut pas pousser le côté dramatique non plus. Pas plus original de ma part mais plus égocentrique en revanche, j’ai réfléchis à cette soif de remarcher qui ne me quitte pas, qui ne m’a jamais quittée.
Alors j’ai enfilé mes super chaussettes « Dobby elfe libre », et me suis sentie comme lorsqu’à 4 ans je revêtais mon costume de Pocahontas ou qu’à dix je mettais dans mon cartable LA carte Pokémon trop cool qui rendrait jaloux tous les copains. J’ai enfilé mes super chaussettes « Dobby elfe libre » donc, et je me suis sentie invincible. (Tant que je ne laisse pas débarquer l’adulte en moi qui ajouterait un « presque » à ce « invincible », la magie opère)
Reprenons.
Me voici en pleine rétrospective de ces six années. Tristes, difficiles, brutales, imprévues, mais aussi pleines d’espoirs, de défis accomplis, de chouettes souvenirs. Elles ont été en vérité tellement stimulantes surtout. Si la privation de la marche m’empêche de faire un million de choses que je crève d’envie de faire, elle m’a également poussé à me dépasser. En voulant me venger sur la vie, j’ai réalisé tout un tas de projets, du plus simple au plus étonnant, que je n’aurais sûrement pas fait sans cette entrée fracassante dans mon quotidien de ce fauteuil infidèle mais indispensable. Pas autant en si peu de temps du moins.
En regardant le chemin parcouru, de cette chambre d’hôpital branchée par cinq ou six tuyaux complètement paralysée que j’étais, à ce quotidien d’indépendance et de voyages à l’autre bout du monde, je ne peux qu’être fière et reconnaissante. Néanmoins une petite, toute petit voix au loin mais tout de même en moi me souffle cette étrange contradiction, de celles qui commencent toutes leurs phrases par « oui mais ». Oui mais je ne suis pas pour autant satisfaite de ce qui est ni de ce que je suis aujourd’hui. BIM.
Telle une enfant capricieuse j’ai par moments la vague impression, dans mon hyperactivité constante, de brasser du vent. Pas que mes actions n’aient aucun sens ! Mais davantage dans l’idée que je ne construis pas de façon réellement durable. Ça ne va pas jusqu’à vivre au jour le jour non plus, il n’existe rien d’éternel paraît-il, mais je n’ancre pas les choses parce qu’elles ne sont pas mon objectif premier, elles ne passent pas avant celui de remarcher.
Avancer de mes pieds
Quoi que je dise, je fasse ou veuille, marcher de nouveau est le but ultime qui ne cesse de me titiller. Il revient très souvent à la charge et je ne sais pas toujours m’imaginer sans lui. Ainsi, je fais « en attendant ». Comme si je ne me levais le matin que dans la projection du jour suivant, de la vie suivante. Car ce sera une autre vie, celle dans laquelle je ferai à nouveau ces pas si convoités, que ce soit au sens figuré ou au sens propre.
Et je sais comment je pense : comme si remarcher était la solution à tous les problèmes, comme si ce qui ne me plaisait pas serait d’un coup inondé de paillettes dès lors que mon handicap sera minimisé. Si ou quand je vais remarcher, il n’y aura plus d’inquiétude quant à où placer tel meuble dans le bureau, plus de soirées loupées parce qu’organisées au 3ème étage sans ascenseur d’une maison de ville, escaliers en colimaçon. Il n’y aura plus de shopping pénible, de regards déplacés, de rêves de voyages-sac-à-dos-rando mis de côté, de doutes quant à ses sentiments, d’hésitation à propos de ce qu’on pense de moi… Bref. Finies la faim dans le monde et la déforestation. Je mets un pied devant l’autre, je recommence et la Terre passe de « Planète bleue » à « Planète rose-poudrée-reflets-arc-en-ciel. » Plutôt sympa comme perspective n’est-ce pas ?
Sympa mais absolument pas réaliste évidemment. Est-ce que pour autant je ne profite pas de ce que j’ai présentement ? Parfois oui. Parfois non. Chez les handi, je sais que nous sommes partagés. Certains ne regardent pas en arrière ni à côté, ils ne regardent pas ce qu’ils ne sont pas en espérant que ce soit un miroir et leur handicap est un compagnon dont ils ne veulent se défaire de peur de se perdre. Mais d’autres, dont je fais partie, continuons à vouloir ce que les médecins trouvent impossible, espérer encore et toujours.
Jamais assez ?
Non ça ne veut pas dire que nous sommes malheureux. Ça ne veut pas dire que l’image que je (vous) renvoie est un mensonge. Ça veut dire qu’une fois la journée remplie, avec des pleurs ou avec des rires c’est selon, nous nous couchons pour rejoindre en pensée cet univers dans lequel les roues ne sont plus et où la marche se mue en danse. J’ai rêvé d’une centaine de situations différentes mettant en scène l’instant tant désiré où, par miracle, par magie ou autre, je me lève d’Albert pour ne plus jamais m’y rasseoir. Le réveil est difficile. Mais c’est comme ça, plein de belles surprises m’attendent entre chaque aube et chaque crépuscule malgré tout.
Lorsque je retourne en centre de rééducation il m’arrive de plus en plus de me demander en regardant « tout ça » si ça fera un jour partie de mon passé. Est-ce qu’un jour je passerai dans ces couloirs avec une nostalgie bienveillante d’un temps qui n’est plus, d’une quête longue et assidue au bout de laquelle je suis parvenue et à propos de quoi on dira « L’eau a coulé sous les ponts depuis » ?
Je ne sais pas, mais si ce doit être le cas, pourvu qu’il arrive plus vite que ce à quoi qui que ce soit s’attend. Parce qu’une Planète rose-poudrée-reflets-arc-en-ciel avouez que ce serait pas mal… Quand même.
Daphnée tu es époustouflante! je t’embrasse
Merci Christine, je suis si bien entourée ! <3
J’aime bien!
Tu es encore plus Bisounours que moi en fait!
La planète rose poudrée arc en ciel je pourrais me mettre à voler que je n’y croirais pas!
Et au fait je continue à rêver debout. Et j’ai pris le parti dans mes méditation avec visualisation de les faire sur deux pattes!!
Ah ah ça dépend VRAIMENT des jours ! Genre depuis deux jours là, je suis tout sauf Bisounours -_- Mais bon, faut bien se défendre hein, l’optimisme est une arme plus sympa que d’autres 😉 Je continue aussi à rêver et imaginer debout.
ah ben oui alors. Je valide – je veux – j’y crois (d’ailleurs j’y ai toujours cru!) – je paye pour voir (#poker)
enfin bref: je rêve aussi de te voir remarcher. Même si effectivement je me rends compte que tu fais plein de choses que peut-être tu n’aurais pas « osé? » « pu? » « voulu? » « pensé? »….faire sans ce foutu virage.
Mais bon maintenant c’est bon. allez un petit coup de ….nerf! Puisqu »il parait que c’est ça qui manque.
En attendant courage. bisous