Le tourisme avec des valides : imposer son handicap

 

Dans le dernier article, je vous parlais de mon escapade touristique en Alsace en laissant entendre que ça c’était passé « comme sur des rails » sans problèmes engendrés par le fauteuil. Et c’est vrai. Cependant, ça ne veut pas dire que c’est la conséquence d’une accessibilité parfaite partout. Non, c’est plutôt parce que j’étais seule en fait. La semaine dernière je suis partie quelques jours avec des proches et ça a énormément changé ma façon d’appréhender le fait d’être en fauteuil. Explications.

 

L’Être humain ne peut pas voler. Même en moulinant très fort des bras, il ne peut pas essayer de se faire passer pour un oiseau, et si le ciel l’attire, il aura toujours besoin d’une aide matérielle extérieure pour l’atteindre. Je le sais, vous le savez, tout le monde le sait. Alors on ne le fait pas. Personne ne monte en haut d’un arbre (ou d’un building pour ceux qui habitent en ville), écarte les bras et saute en se disant « aujourd’hui ça va le faire ». Non. Du moins pas pour cette raison. Mais de la même façon, personne ne se réveille le matin en désespérant de ne pouvoir exécuter cet exploit. Le regret s’il existe, est vague.

 

 

 

 

En fauteuil, ça va un peu dans le même sens. Évidemment que le regret est fort, non vague, évidemment que l’on continue d’essayer et d’espérer mais. Mais lorsque nous sommes dans la vie loin du travail physique, en vacances qui plus est, on ne va pas s’imposer ce que l’on sait ne pas pouvoir faire. Par prudence, une façon d’être avenant envers soi-même aussi. Par exemple, je ne vais pas prévoir dans mes activités une session d’escalade, ou une course d’orientation. Bien sûr que ça existe en adapté, sûrement, mais en général, on privilégiera ce pour quoi on n’a pas de questions à se poser, surtout lorsqu’on prévoit du jour pour le lendemain. Et ce n’est pas grave, c’est comme ça, on le sait. Bien sûr que je crève d’envie de refaire de l’accrobranche, mais je crois que, quelque part, je me suis plus ou moins résignée. Ça ne veut pas dire que j’ai abandonné l’idée d’en refaire un jour, mais là tout de suite maintenant, de la façon dont je veux le faire, où je veux le faire et dans la situation dans laquelle je suis, ça n’est pas possible, point. « Prendre son mal en patience ».

 

Alors oui, c’est bien comme manière de penser mais c’est valable quand il n’est question que de soi. C’est une paix que j’ai réussi à acquérir en moi et pour moi. Or ajoutez-y des gens et la donne n’est plus la même. Parce que ceux avec qui vous partez, eux, sont valides. Ils peuvent la faire cette session escalade ou course d’orientation s’ils en ont envie. Sauf qu’ils ne le font pas. Parce qu’il y a vous. Et votre fauteuil. Ça, c’est plus difficile à assumer. Alors d’accord, ils pourraient y aller si vraiment ils y tiennent : il n’y a qu’à se séparer le temps de l’activité mais où se trouve alors l’intérêt de partir ensemble ?

 

Et puis quand je suis seule, l’idée d’une journée canyoning ne me vient même pas à l’esprit, alors qu’avec d’autres personnes qui aiment ce loisir, non seulement je me retrouve à les priver d’une chose qui leur ferait plaisir, mais en plus je me retrouve face au fait que, ben oui, moi aussi j’aurais bien voulu en fait, parce que moi aussi j’aime ça… à la base…

 

 

 

 

Maintenant attention, ça ne signifie en rien qu’il vaut mieux partir en solo jusqu’à la fin de notre vie à partir du moment où on est handi ! Pas du tout ! Parce que malgré tout, être avec des personnes qui nous sont proches quand on voyage, c’est une aide dont on a moins à rougir d’exploiter, ce sont des moments drôles, conviviaux, ce sont des souvenirs partagés et, de temps en temps, ce sont des activités qu’on fait qui n’auraient pas été faisables s’il n’y avait eu quelqu’un pour dire : « comment ça tu peux pas grimper dans la nacelle ? Bien sûr que tu peux grimper dans la nacelle : on te porte, on t’y pose et on va ! »

 

Bref, le handicap ne sait que trop nous imposer des choix et il est difficile d’apprendre à vivre avec. Mais ce qui est pire, c’est lorsqu’ils s’imposent aux autres alors qu’au début, ils ne sont censés ne concerner que nous. Oui ils diront que ça ne les dérange pas, oui ils feront avec parce qu’ils vous aiment, mais ça n’enlèvera jamais ce résidu de culpabilité qui se colle à vous comme la pâte à cookies qui manque de farine colle à vos doigts. C’est (souvent) comme ça (la culpabilité hein, pas la pâte à cookies) et c’est peut-être pour ce genre de raisons que certains handis se renferment sur eux-mêmes ou finissent par s’isoler (ce qui n’est pas non plus une solution) Supporter est déjà dur alors « faire supporter »…

 

 

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21 commentaires sur “Le tourisme avec des valides : imposer son handicap

  1. Bien vu la comparaison avec l’oiseau! Quelqu’un (qui pensait sans doute me faire réfléchir) me l’a faite un jour: « Les ailes ne te manquent pas? » Ma réponse: « Ben au sein de mes semblables, dans notre société non. Mais dans une société où tout serait adaptée au vol bien sûr elles me manqueraient autant que me manque ici mes jambes dans une société adaptée à la marche. » Si certains HandiCapables se renferment c’est peut être aussi que leurs contraintes les poussent à un niveau d’acceptation du réel tel que les valides ne l’ont jamais expérimenté et ne peuvent le comprendre? Il faut tellement de temps, d’échecs, de hontes, de frustrations, de travail sur soi pour y arriver… Alors quand on a bien avancé sur ce chemin, parfois on est simplement mieux avec soi même, comme tu as pu l’expérimenter en Alsace.

    1. Oui c’est ça : notre handicap nous fait défaut lorsque l’on se retrouve face à ce qu’il nous empêche de faire, pas en dehors. Et en effet, au temps j’assume ce que je suis, au temps je n’assume pas toujours ce que ça implique pour les gens que j’aime alors parfois, ça fait du bien de se retrouver un peu seul : ce sont des moments où le handicap envahis un peu moins l’esprit puisqu’il n’y a personne pour nous le renvoyer 🙂

  2. en réponse à ton article:
    1) la pâte à cookies …..ça sent le vécu! hi! hi ! hi !
    2) en ce qui concerne l’aventure de la semaine dernière, ne nous méprenons pas : la vie est un éternel choix. On fait des bons et des mauvais c’est certain. Mais pour cette fois, nous avions volontairement choisis de faire des attractions auxquelles tu pouvais participer. Nous ne nous sommes pas privés puisque nous avions choisis AVANT d’y aller ce que NOUS pouvions faire. De toutes les façons , dans une région(celle ci comme les autres) il y a tant à faire que nous n’aurions pas pu tout faire dans le temps imparti. La preuve: nous n’avons pas eu le temps d’aller à Roquefort!
    L’aventure « moitié ratée » du chateau (Nous n’avons pas pu y rentrer mais pas à cause de toi.) nous a cependant permis de découvrir un joli village et un magasin ……fort sympathique.
    à suivre…….

  3. …..suite
    L’aventure du rail: nous savions avant d’y aller que cela ne serait pas simple mais que cela serait possible. Et ce parcours est tellement beau que cela aurait été dommage de le rater. Quant à l’accueil des gens il a été tellement fabuleux que cela aurait été très bête de s’en priver. Je dirais même que cela a permis de vérifier leur prévenance et leur gentillesse. Je n’oublie pas une personne du « public » qui a aimablement proposé son aide. Cela fait chaud au coeur. Donc pas de mauvaise conscience: c’était génial et NOUS en avons tous bénéficié.
    Je l’ai d’ailleurs écrit dans Tripadvisor!
    Pour finir: lorsqu’on a des enfants, handicapés ou pas, si on les aime on doit choisir de faire des choses avec eux….ou pas. certains parents l’oublient peut-être mais beaucoup non.

  4. Touchée par cet article qui résume assez bien ce que je peux ressentir parfois. Mais comme toi, mes compagnons de voyage s’adaptent généralement plus que moi à la situation et y trouvent un certain bénéfice quand le pouvoir du fauteuil arrange tout le monde. Pour les emplacements, les files d’attente etc. 🙂
    Heureuse que tu ais passé de bonnes vacances 😀

          1. Dans de très rares moments négatifs, ça m’arrive. Heureusement j’ai toujours un ami ou un parent pour me donner une gifle imaginaire dans ces cas là 😉

  5. Bon, alors « Trois amis en quête de sagesse » dont je parle régulièrement ici: https://unedeuxiemevie.wordpress.com/category/ecologie-interieure/trois-amis-en-quete-de-sagesse/ m’a vraiment fait du bien. Ensuite il y a ceux là: https://unedeuxiemevie.wordpress.com/2017/03/13/livres-porteurs-de-sens/ et puis pour bien vivre le genre de situation que je devine à l’échange précédent, je suis fan de ça: https://unedeuxiemevie.wordpress.com/2017/06/11/meditations/ et ça: https://unedeuxiemevie.wordpress.com/2017/08/11/vie-interieure/. Connaissez vous? Avez vous également des conseils de lecture en matière d’apaisement de l’âme? Plusieurs fictions m’ont aussi particulièrement touchée (j’adore lire) si vous voulez vous lancer dans un échange de conseils, j’y suis ouverte!

    1. En réalité j’ai du mal avec la méditation et les livres semblant vouloir m’apprendre à penser « parce qu’ils ont la solution ». Mon côté indépendante maladive aux tendances contrôlantes certainement. J’aime à dire que chaque personne est unique : ce qui apaisera l’un n’apaisera pas l’autre, ce qui sera sain pour un corps ne le sera inutile à un autre. Quoi que je lise ça m’apaise puisque ça m’emmène ailleurs (si c’est bien écrit du moins)Je ne lis pas pour en apprendre sur moi, je lis pour en apprendre sur les autres et sur ce qui m’entoure, ou bien tout simplement pour m’évader et rêver 🙂

  6. Je fui également tout livre prétendant détenir une solution. Puisque tu dis ne pas être sensible à la littérature spirituelle, n’en parlons pas. Concernant les bouquins qui font s’évader, j’ai récemment découvert la trilogie Héléna Ferrante que j’ai adoré. Et toi, quels livres t’ont fais rêver récemment?

    1. Il y a longtemps j’avais adoré un livre et je me le suis acheté il n’y a pas longtemps, l’ai relu, et l’ai de nouveau adoré : tant l’histoire que l’écriture de l’auteur même. C’est « Le treizième conte » de Diane Setterfield, et mon frère vient de m’offrir son dernier. Je le dévorerai sûrement mais avant, je vais finir celui en cours : « Plus fort la vie » de Philippe Croizon, qui me donne des envies de défis ^^

  7. Merci pour le tuyau! Moi j’ai lu « l’homme qui marchait dans sa tête  » de Segall, mais désormais les bouquin de handi me filent le cafard alors j’évite. Comme tu le dis, on écrit tous son propre chemin. Dans la série « évasion » une amie qui m’avait offert « La liste de mes envies » de G. Delacourt que j’ai adoré (très facile et rapide à lire, mais une histoire n’a pas besoin d’être longue pour marquer le coeur et l’esprit) m’a récemment conseillé « L’impure » de Guy Des Car qui sera mon roman de fin d’été. D’habitude elle a super bon gout, mais pour l’instant je ne peux t’en dire plus!

    1. Pareil, j’évite en général de lire des bouquins sur le handicap parce que lire me permet justement de l’oublier. Mais parfois il y a des incontournables, ne serait-ce que pour alimenter le blog… La liste de mes envies ça me dit quelque chose…

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