Ce matin en descendant mes poubelles, j’ai eu une pensée pour toi que j’avais oublié pourtant. Il faut dire que tu n’as jamais été bien important, le +1 d’une amie avec qui je pensais naïvement m’entendre. Il y eût cependant un soir qui t’a relégué au rang de simple connaissance, un soir où dans mon esprit, le mépris pris le pas sur l’indulgence envers des paroles malheureuses. Car elles ont eu des conséquences et je m’en vais te l’expliquer aujourd’hui.
Je préférais apporter mon aide plutôt qu’être aidée.
Je n’ai jamais appris à demander de l’aide. J’ai grandi dans un environnement, dans une famille, au sein de laquelle la prise d’indépendance de l’enfant était importante et c’était très bien ainsi. Je n’ai simplement jamais compris pourquoi je demanderais à quelqu’un de faire ce dont je suis capable de faire. Peut-être – sûrement même – qu’il y avait une belle part de fierté là-dedans. J’ai appris, j’ai galéré pour apprendre, donc je veux prouver que c’est assimilé. Voilà, aussi simple que ça.
L’ironie du sort a voulu qu’un jour, je me retrouve dans un lit d’hôpital avec comme seules possibilités de mouvements ceux de la tête, et encore. Je devais être nourrie, être lavée, être habillée, être mobilisée et les heures ont défilées ainsi à l’encontre de ce qui faisait (aussi) ma personnalité. Jour après jour il a fallu que je m’escrime à retrouver un semblant de dignité d’abord, un peu d’autonomie ensuite.
Si en sortant de mes vingt-cinq mois de rééducation fonctionnelle j’avais quasi récupéré mon indépendance, la vie n’en étais pas moins laborieuse dans des gestes parfois un peu bêtes. A l’époque, je fatiguais plus vite car je n’avais pas autant l’habitude de mon quotidien en fauteuil que j’en ai aujourd’hui. Déterminée (d’autres diront « têtue ») je ne me laissais pas attirée par la flemme et l’assistanat, par moments j’aurais certainement dû car mon corps me l’a souvent reproché. J’en faisais trop.
Une soirée, une claque.
Ce soir là néanmoins, nous étions six de mémoire et avions beaucoup mangé et bu. Comme je n’habitais alors qu’un studio, la poubelle de cuisine était fatalement dans la même pièce que mon lit. Il faisait nuit, le local où jeter les déchets était à l’extérieur. J’avais deux portes à passer dont une plutôt lourde. As-tu déjà essayé d’ouvrir le couvercle d’un gros container en étant assis sur une chaise ? Certainement que non, tu aurais compris que ça me demandait à la fois ingéniosité et effort. Alors tu n’aurais pas eu cette réaction blessante lorsque, pour une fois, j’ai osé demander un coup de main : « Est-ce qu’en partant, vous pourriez passez mettre les poubelles ?». Grosse grosse requête visiblement.
Tu as attendu que je me sois éloignée pour glisser cette question aux autres : « Elle n’est pas capable de faire ça elle-même, est-ce qu’elle n’exagèrerait pas un peu ? » Tu as donc, dans mon dos, sous-entendu que j’étais une profiteuse. C’est vrai que le handicap, on en fait tout un plat alors que bon, au fond ça n’est pas bien grave c’est ça ?
J’avais vingt-trois ans, je n’ai pas eu de compassion envers ton ignorance et ton manque de franchise. Je n’ai même pas ressenti de gratitude envers ceux qui t’ont contredit à la seconde même où tu finissais ta phrase (voire avant.) Je n’ai eu que de la colère à cet instant. Un sentiment violent et profond d’injustice. Pour une fois que je me laissais aller à demander, même pas de l’aide mais simplement un service, je me faisais soupçonner d’exploitation éhontée.
L’apprentissage par le négatif.
Bon, ne prends pas trop d’assurance pour autant, tu ne m’as pas traumatisée. Quelque part, tu m’as presque aidée. Aidée à continuer de vouloir tout faire par moi-même, jusqu’à être ce que je suis à ce jour : complètement indépendante. Je continue à avoir du mal à solliciter de l’aide, j’ai d’ailleurs régulièrement droit à un tendre « Je ne te propose pas mon aide, je ne voudrais pas me faire engueuler, si tu as besoin tu le dis » de l’un de mes proches. En revanche je ne rechigne plus aux « Tu veux bien me rendre service ? » La seule différence depuis ta blessante remarque est que je choisis à qui je pose cette question.
Finalement maintenant je me rends compte que certains coups de mains que je réclame n’ont pas exclusivement de lien avec le handicap, j’ai souvent moins de mal pour ceux-là d’ailleurs. Il y a quelques jours j’ai vu ma mère se faire ouvrir un bocal en verre par mon frère, comme il m’arrive de faire ouvrir une boîte de conserve au couvercle récalcitrant à la personne qui mange avec moi. Alors que quand c’est en lien avec ma situation physique, tous les efforts de ces huit dernières années me hurlent « C’est bon, tu peux le faire, tu es forte et indépendante !», comme si je continuais à vouloir prouver que mon fauteuil ne me rend pas moins capable.
Et si lorsque je fais un pas en avant en requérant de l’aide, une vile personne dans ton genre m’écrase le pied avec dédain, comment ne pas hésiter par la suite ? Cinq années ont passées depuis cet incident, mais aussi depuis que tu as disparu de mon entourage. En 2021 je le dis avec amusement : oui, il m’arrive d’exploiter les gens que j’aime. Et si l’un d’eux, un jour, se dit que peut-être j’exagère, je ne me sentirai plus concernée. Si ça a été le cas quand c’est sorti de ta bouche, c’est parce que c’est une image que j’avais justement peur de véhiculer alors que là, je sais que ça n’est tout simplement pas ce que je suis. Que ça n’a jamais été ce que je suis.
Mûrir trois chapitres.
Alors en conclusion merci, vile personne, de m’avoir poussée dans cette réflexion dont la finalité est dans l’assurance, une assurance qui ne laisse de place ni aux doutes, ni à des gens qui n’en vaudraient pas la peine. Je te souhaite plus de tact, d’honnêteté, d’ouverture d’esprit et je te laisse à ta place, loin derrière moi (dans mon passé).
Très bien ! De toute façon il faut savoir faire le ménage entre les vrais et les faux amis et ne pas hésiter à mettre ces derniers À LA POUBELLE ! !!
vi!vi!vi!vi! le pire est qu’il n’aurait peut-être rien dit si tu leur avais simplement demandé de descendre les poubelles… sans être en fauteuil. Cela aurait paru juste « normal ».
Souvent, les accidents de la vie, malheureusement, permettent de faire le tri entre vrais et faux amis.
Ne pas hésiter donc à appuyer sur la touche Delete.