Aujourd’hui je devais retrouver une amie à une représentation dans laquelle elle dansait. Comme rarement moi en avance, comme souvent elle en retard. Elle m’envoie un message pour m’informer de son départ de chez elle (à quinze minutes maxi de la salle de spectacle). Puis plus rien. Du tout. Ce qui n’est pas une habitude entre nous. Et sans que je m’y attende, mon cœur autant que mon esprit se sont emballés.
Jusque là j’avais toujours eu une espèce de fierté mal placée quant au fait de ne pas avoir relevé de « traumatisme » de mon accident. N’en avoir aucune trace en mémoire (celle que je peux atteindre tout du moins) facilite sûrement bien des choses. Re-conduire ne m’a jamais gêné, au contraire, et que ce soit en empruntant la même route ou en prenant la voiture par des conditions similaires (heure, temps…), pas de sueurs froides ou d’inquiétudes inexpliquées. Non, je maîtrise. Les seules réactions inhabituelles que j’ai pu remarquer à une ou deux reprises découlaient de la période hôpital. Et maintenant que j’en ai connaissance je les évite, les cache et les arrange autant que je le peux.
Seulement là je ne m’y attendais pas donc je n’ai pas su gérer et j’ai passé un moment particulièrement pénible. Car alors que les minutes avançaient et que je ne la voyais pas venir (ça faisait quand même plus d’une heure), je me suis soudain retrouvée presque quatre ans en arrière mais de l’autre côté de la barrière. À la place de ces amis qui m’attendaient parce qu’on avait prévu de se faire une soirée posée entre nous et qui n’avaient pas de signe de vie de ma part. À un détail près. Eux ne se doutaient pas. Et pour cause ! Comment imaginer ? Pourquoi passerait-on du « elle a laissé son portable au fond de son sac », « elle est encore sur la route », « elle est à la bourre » au « elle a eu un accident grave direction hôpital », franchement ? Appelez ça de la naïveté, moi je dirais manque de pessimisme et n’est-ce pas si mal en réalité ? Parce que le problème d’avoir vécu le mauvais scénario, le problème d’en avoir rencontré et côtoyé deux ans durant, d’autres mauvais scénarios, c’est qu’on sait que c’est possible et même pas si rare que ça.
Alors moi qui suis de nature optimiste en temps normal, je la voyais se faire rentrer dedans par une voiture, je la voyais louper un virage ou glisser sur une mare d’huile et je voyais son portable sonner dans le vide sur le bas-côté lorsque j’essayais désespérément de la joindre. Quelle paranoïa ! Je me trouvais idiote et pourtant je ne pouvais pas empêcher ce flux d’images imaginaires m’envahir et se mêler à mes propres souvenirs. Les dalles du plafond, le linge blanc, les tuyaux, tous ces voyants clignotants et ces bips…
C’est elle qui avait mon billet d’où le fait que je ne puisse concevoir qu’elle était là (en coulisses) sans être passé me voir même en coup de vent. En expliquant la situation à la personne du guichet elle me fit quand même entrer mais pas un n’était capable de me dire si oui ou non elle était arrivée. « Bah vous inquiétez pas elle doit être en train de se préparer« . Sûrement. Comme je « devais être » en train de poser mes affaires du week-end chez mes parents. Sûrement. Mais les mauvaises cartes existent. Donc les mauvaises pioches aussi.
Me voilà malgré tout installée dans les gradins. La lumière s’éteint, le rideau se lève. Première chorégraphie. Je ne sais pas quand elle est censée entrer. Tendue. Deuxième chorégraphie. Chaque minute semble s’éterniser. Anxieuse. Troisième chorégraphie. Elle est là. À cet instant précis, durant quelques secondes à peine, je la déteste. Et puis quelques larmes coulent, discrètes, j’ai mal au coeur et je me sens ridicule, si ridicule. Parce que « c’était rien ». Elle a laissé son portable dans son manteau, s’est faite entraînée par la responsable du spectacle car la représentation devait commencer, elle savait que je pouvais me débrouiller, et voilà, c’est tout : situation banale, rien de grave. Ça aurait pu être avec n’importe quel autre de mes proches à n’importe quelle autre occasion. Cette mémoire là ne dépend de personne, même pas de moi.
Mais ce soir j’ai pris conscience d’une chose à la fois pathétique et d’une grande tristesse : j’ai la peur viscérale que l’un de mes proches vive ce que j’ai vécu, qu’il se retrouve avec une vie comme la mienne. Et c’est pas juste. Parce qu’on devrait être fier de ce qu’on est, des routes que l’on a empruntées et de ce que l’on a accomplit. Bien sûre que je suis fière de mes combats et de ce que j’en ai obtenu, mais je souhaite plus que tout que personne n’ait à avoir ces fiertés là.
Magnifique texte ..qui encore une fois prouve que tu es vraiment une femme belle de l intérieur… belle de l extérieur … forte et fragile … et tu peux être fière de ce que tu es d hier à aujourd hui et pour « demain » .. passe de bonnes fêtes ..et que 2017 t apporte bonheur et reussite dans tous les domaines ..bisous
Merci ma Bab, bonnes fêtes à toi 🙂
Ouahou, que dire.
Je ne suis pas passé parce que tu as vécue alors il est certain que pour une fois je ne peux pas vraiment comprendre.
Par contre, depuis quelques temps, je suis une vraie parano avec mes proches. Si je n’ai pas un message pour me dire qu’ils sont bien arrivées, si je n’ai pas de nouvelles, mille scénarios passe dans ma tête.
Je crois que pour moi ça vient de la situation des personnes que je fréquente dans le handisport, de celles que je lis et peut être aussi de ma connaissance du handicap qui débarque comme un obus dans votre vie.
Et tu as raison, j’ai beau aimé ma vie, savoir que le handicap m’a donnée et me donnera encore des possibilités énormes, je ne souhaite pas un apprentissage autant à la dure de la vie et ce à personnes.
Ton texte est si touchant.
Je me suis retrouvée dans pas mal de phrases.
Je n’ai pas vécu d’accident. Jai une maladie neuro dégénérative et quand y. Proche me dit qu’il a mal ou à un symptôme qui ressemble à un des miens. Je panique.
Je ne veux pas qu’ils galèrent comme je galère.
Quand j’apprends qu’une jeune femme à me meme diagnosti que moi je suis triste dun côté mais de l’autre je me
Dis « mais non tu t’en sors plutôt bien. Donc elle y arrivera aussi tu vas l’aider »
Merci Lamia, c’est important pour de savoir que je ne suis pas la seule, que ce que j’écris est juste pour d’autres. C’est délicat de gérer nos réactions dues à ce qui nous est arrivé et on ne peut pas s’empêcher de s’inquiéter. Mais mieux vaut qu’on le fasse et qu’il n’y ait rien que le contraire…
Mais oui, moi c’est pareils : avec tout ce que j’ai vu en centre de rééduc, je m’inquiète dès que quelqu’un me parle de cholestérol (amputations) ou de fourmis récurrentes dans les jambes (guillain barré, sep et autres)
Je ne sait pas comment décrire, ce que je ressent, j’ai eu l’impression en lisant ce texte que c’était moi qui attendais désespérément cette amie qui ne vient pas. Chapeau pour avoir réussi à transmettre cette émotion.
Merci Manon ! 😀