Tomber, cette aventure #2

 

 

Je suis tombée. Tomber…

 

Depuis l’apparition du fauteuil sous mes fesses, j’ai travaillé dur pour compenser chacune de mes capacités manquantes et ainsi obtenir mon statut de tétra autonome et indépendante. Pas la force de monter le fauteuil dans la voiture ? On casse la tirelire et on installe un bras robot qui s’en charge. Le siège de douche qui avec l’humidité glisse lors du transfert ? On cale l’une des roues contre la dalle qui rehausse les toilettes. Les planches de transfert normales trop lourdes ou trop encombrantes ? On en fabrique une avec une planche de skateboard. Parce que lorsqu’on est handi, la vie ne nous laisse pas trop le choix, mieux vaut être ingénieux voire un peu fou aussi : pour savoir si ça marche, encore faut-il tester, au risque de se louper.

 

 

 

 

Si aujourd’hui j’arrive à me sortir des situations les moins drôles, il y en a une face à laquelle je n’ai toujours pas trouvé de parade. Elle est la plus simple, la plus bête et du coup la plus frustrante : la chute. J’avais déjà écrit un article à ce sujet il y a longtemps, c’était d’ailleurs l’un des premiers du blog. Mais j’étais alors en centre de rééducation. Même si l’on se retrouve par terre plus souvent (phase d’apprentissage avec un nouveau corps), il y a forcément quelqu’un pour vous relever (les aides-soignantes et infirmières sont des Wonderwomen je ne le redirai jamais assez). Une fois de retour « à l’extérieur », bonjour Changement !

 

Attention hein, ça ne veut pas dire qu’on tombe tous les quatre matins non plus, autant vivre chez ses parents ou en coloc dans ces cas-là. Non, la chute est, en ce qui me concerne, très rare. Deux raisons cependant peuvent lui faire repoindre le nez, à savoir un changement de matériel ou un changement d’environnement. Dans le premier cas c’est simple à comprendre : si demain on vous change votre paire de jambes, je serais étonnée de vous voir vous débrouiller toute la journée comme si de rien n’était. Et bien nous c’est pareil. À partir du moment où notre fauteuil a un souci (dossier déréglé, roues abîmées…) ou pire, que nous sommes sur un autre (la joie des fauteuils de prêt), les risques de se planter durant un transfert notamment, augmentent. Dans le second, voyons ça comme un baptême. Chaque lieu possède son propre agencement conséquence de quoi les repères diffèrent. Parfois il faut donc un temps d’adaptation (et un échec pour comprendre où et comment faire les changements) avant d’arriver à une organisation parfaite et sûre.

 

 

tomber fauteuil

 

 

Dans l’appart’ dans lequel je suis depuis huit mois, j’ai eu le loisir d’inspecter le sol à trois reprises (seulement !) : la première fois que j’ai utilisé la salle de bain (le baptême souvenez-vous), une fois lorsque j’avais un fauteuil de l’ère Napoléonienne en attendant que le mien soit (encore) réparé et la dernière… Pour quasi la même raison (une joie je vous disais le matériel de prêt). Ces soirs là, comme tout enfant qui se respecte (et qui habite dans la ville voisine), j’ai appelé Papa/Maman à la rescousse. Normal. En une demi-heure l’affaire était réglée et le lendemain c’était oublié.

 

Sauf que. (Ce serait trop facile sans un « sauf que ») La semaine dernière, pneus dégonflés donc freins inutiles ou presque, j’ai eu le bonheur de voir le fauteuil partir alors que je me mettais dans mon lit. Me voici donc entre les deux, par terre. Père en déplacement à des kilomètres, mère à se remettre d’une opération de l’épaule, je me résolu au bout d’une vingtaine de minutes de lutte vaine pour me hisser sur mon matelas, à appeler une amie (et pas n’importe laquelle, question d’orgueil face à ma situation) Échec. À une heure du matin il fallait s’y attendre. Solution, solution, solution… Je me remets à me débattre (quelque fois que d’un coup, un muscle fasse une brève apparition) J’essaye comme ci, teste comme ça, mais rien n’y fait. À bout de force je finis par m’asseoir appuyée (et épuisée) contre le placard et suis obligée de me rendre à l’évidence : il va falloir appeler les pompiers.

 

Après cette prise de conscience, je mis bien une demi-heure avant de me décider à attraper le téléphone. C’est le temps qu’il m’a fallu pour me repasser encore encore le film de ce qui allait se dérouler pour peu à peu l’assimiler : des étrangers allaient donc rentrer chez moi, me voir au sol en position de faiblesse à ne pouvoir me relever seule alors que même un gamin de trois ans en est capable. Les yeux rouges, le pyjama trop grand et les cheveux en bataille. Mon obsession de l’autonomie allait en prendre un coup. Mon égo aussi un peu. Et je me prenais de plein fouet toute l’absurdité de ma condition. Ah oui, c’est vrai, je suis handicapée. Et j’ai beau le vouloir de toutes mes forces, faire ce qui est possible, utiliser mon imagination comme mes connaissances ou les astuces collectionnées avec le temps, j’ai beau pouvoir me relever de toutes les situations, je ne le peux en fait qu’au sens figuré. Quoi que je fasse, mes jambes ne me portent pas. Toujours pas. Encore pas. Et ça manque, et c’est dur. Toujours. Encore.

 

 

Si vous aimez, n'hésitez pas : partagez !
Share on Facebook
Facebook
Tweet about this on Twitter
Twitter
Email this to someone
email
Print this page
Print

5 commentaires sur “Tomber, cette aventure #2

  1. Les chutes j’avoue c’est la loose. Et au delà de ça ces situations qui nous rappelle ce qu’on passe notre temps à essayer d’oublier et de faire oublier; ce n’est vraiment mais vraiment pas facile.
    Je sais que j’ai un peu fait la paix avec moi et mon corps et que du coup ces situations sont de plus en plus rares mais elles existent et existeront toujours.
    En même temps, non on est pas parfaite, oui on a des faiblesses, oui on pleure mais tout handicap (et je parle pas que du Notre) a son pendent et on a aussi une énergie à toute épreuve une débrouillardise qui ferait pâlir de jalousie Géo trouvetou.
    Alors oui on n’est pas wonderwoman mais qui nous le demande.

    Et pour les chutes en tant que t’elles, je n’ai pas de solutions car j’ai la chance l’immense chance d’avoir des bras et des pectoraux en acier (ou presque!) alors j’arrive à me relever sans utiliser mes jambes. alors ,même si j’ai souvent l’air d’une baleine échouée, la baleine croisée avec un cachalot, la baleine elle dit prout à tout ceux qui la traiteraient… de baleine ou de cachalot!!
    Edit: commentaire fleuve bonjour!!

  2. Comme tu le dis Douce Barbare « ces situations qui nous rappelle ce qu’on passe notre temps à essayer d’oublier et de faire oublier »…
    Ton article me parle, Crevette de Mars. Même si je n’ai pas le même handicap (je suis hémiplégique), je le prends comme toi : c’est toujours extrêmement mortifiant, humiliant de tomber sans pouvoir se relever…seule.. Ggrrrr….!!!

Vos réactions...