Choisir d'être heureux avec un handicap - Marry Poppins 1994

Choisir de bien vivre son handicap, mission possible.

 

Ce week-end j’étais chez une amie. Son appartement n’est pas vraiment adapté et certaines pièces me sont impossibles à utiliser. Son copain avec qui elle habite ne me voyait que pour la deuxième fois, et s’est inquiété de ce que je pourrais ressentir à ne pas avoir la capacité de déambuler à mon aise dans tout l’espace. Ce à quoi elle lui a répondu avec une logique déconcertante que si peine il y avait, elle n’existait qu’en lui, non en moi. Avais-je l’air ennuyé ? Ou triste ? Frustré ? Que nenni et à vrai dire, je ne l’écris que parce que nous en avons parlé, autrement je n’en aurais certes pas eu conscience.

 

 

« Elle est heureuse »

 

Aussi surprenant que ça puisse paraître, même à mes yeux, c’est que mes proches ont complètement intégré ma situation en fauteuil. Ils l’ont au moins autant intégrée que moi dans le sens où ils ne la voient plus comme source d’un cœur qui se serre, ni source de problème à quelque projet que ce soit. Ils m’ont vue faire, expérimenter, découvrir, sourire et rire, ils me voient comme je suis sans désespoir ou regrets. « Tu sais si elle est venue en sachant que tout ne serait pas parfaitement accessible, c’est bien parce qu’elle est okay avec ça. Elle a l’habitude et elle est heureuse que l’on passe du temps ensemble. »

 

 

Choisir d'être heureux avec un handicap - Marry Poppins 1994
« Exactement ! » (Mary Poppins – Disney 1994)

 

 

J’aurais pu choisir.

 

J’aurais pu faire le choix de considérer un manque d’accessibilité comme étant un point trop négatif par rapport aux moments de qualité que ça m’apporterait d’y aller. Mais je n’en ai pas envie. Je n’en ai jamais eu envie. Je me souviens avoir été vexée un jour d’apprendre qu’une soirée avait été organisée avec des copains, sans que je n’ai été prévenue en amont. Cette émotion ne venait pas du fait d’en avoir été écartée, mais plutôt de la raison qui avait fait qu’il n’y avait pas eu d’invitation à mon encontre. L’escalier. La soirée s’était effectivement tenue dans un appartement dont l’accès ne pouvait se faire que par un escalier. Quelqu’un avait donc décidé à ma place que ça ne serait « pas pratique » et que ça « me dérangerait ».

 

J’aurais pu choisir.

 

Plutôt que de vouloir me préserver comme l’on voudrait préserver un enfant d’une déception, nous aurions pu en discuter. Des solutions il y en avait, là n’était pas le problème. Le problème était ce qu’éventuellement je pourrais ressentir. Hypothèses. Interprétations. Suppositions. Un trio souvent trompeur n’est-ce pas ? Le fait que me porter puisse me mettre mal à l’aise, qu’être dans un appartement où je ne puisse guère me déplacer me frustre, qu’être obligée de décliner l’invitation si je ne le sens pas me rende triste. Donc « au cas où » ne rien dire et espérer que je n’en entende jamais parler (raté !)

 

 

Choisir d'être heureux avec un handicap - Marry Poppins 1994
Gif Mary Poppins – Disney 1994

 

 

Fausses incompatibilités

 

Dans cette situation comme dans la première, le problème ne vient pas de moi, mais de ce que les gens projettent sur moi. Ils s’imaginent des sentiments que nous pourrions ressentir à travers leur propre vision de la vie plutôt que de les considérer à travers la nôtre. Ils projettent sur nous la peine qu’ils ressentent à voir le fauteuil, ce qui en fait, ne nous appartient pas. La projection n’est pas une vérité. Quelque part ça rendrait les relations humaines certainement plus facile si on pouvait deviner et comprendre l’autre directement. Mais ça n’est pas le cas, alors parfois la gymnastique n’est pas évidente. Il faut arriver à envisager ce qui peut nous paraître inconcevable.

 

Parce que ne nous leurrons pas, nous avons beau avancer en terme de sensibilisation, il y a encore et toujours une large population persuadée que le bonheur n’est pas atteignable à partir du moment où un handicap est présent. Il existe même des handi qui eux-mêmes s’en persuadent. Alors qu’encore une fois, il nous suffit de choisir.

 

 

Choisir d'être heureux avec un handicap - Marry Poppins 1994
Gif Mary Poppins – Disney 1994

 

 

Lorsque j’ai commencé à réfléchir sur cet article, je me suis freinée en me sentant coupable. N’est-ce pas trop facile de dire que bien vivre son handicap est un choix alors que je m’en suis « si bien sortie » ? Alors que j’ai « la chance » d’avoir retrouvé assez de mes capacités pour vivre de façon indépendante et autonome malgré le fauteuil ? D’être dans une situation qui me permettent de voyager, d’expérimenter, de profiter… ? Et cette réflexion inhérente au sympathique syndrome de l’imposteur m’est récurrente. Sauf que cette fois j’y ai trouvé le fin mot.

 

 

Choisir quand c’est possible, ou choisir pour rendre possible ?

 

Je prenais les faits à l’envers.

 

Ce n’est pas parce que j’ai un handicap qui ne m’empêche pas d’être autonome que je peux choisir de bien vivre ma situation de femme en fauteuil. C’est parce que j’ai choisi de bien vivre ma situation de femme en fauteuil que j’ai réussi à retrouver mon autonomie malgré mon handicap.

 

Choisir. De travailler dur, de voir le verre plus plein que vide, de travailler dur, de me laisser être soutenue par mon entourage, de travailler dur.

 

Attention, le manque d’accessibilité est un problème, surtout dans le domaine publique (trottoirs, magasins, établissements administratifs…). Cet article ne parle que de lieux « personnels », de moments particuliers. Or quiconque me connaît un peu sait que la chose la plus importante à mes yeux, dans ma vie, ce sont les moments passés avec mes proches, la création de beaux souvenirs. Rien ne me rend plus heureuse que ces temps offerts les uns aux autres. Ainsi donc même si le fauteuil peut me limiter, ces limites ne pèseront jamais assez lourd dans la balance pour que je me laisser gagner par la solitude, donc par l’effondrement.

 

 

Choisir d'être heureux avec un handicap - Marry Poppins 1994
Gif Mary Poppins – Disney 1994

 

 

En fait, choisir pour soi.

 

Parce que je me suis permise de choisir de transformer mon accident en un début plutôt qu’en une fin. Je me suis permise de choisir la joie plutôt que le désespoir. Et j’espère qu’en l’écrivant je donnerai envie à d’autres de prendre ce chemin-ci : handicap ou non, la vie à beaucoup trop à nous donner pour que nous la boudions !

 

 

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