« Tu n’es pas qu’un fauteuil Daphnée »
Elle avait dit ça comme on dit à un enfant turbulent de ne pas courir les mains dans les poches. Sur le coup je n’ai rien dit. Car c’était exactement ce que j’essayais de me prouver depuis qu’il était là, ce fauteuil. De prouver aux autres aussi… surtout ?
Mais cette petite voix que chacun possède en lui, tapie dans l’obscurité en attendant les jours sombres s’est mise à murmurer quelques temps plus tard. Et son murmure est devenu un cri aux arguments bien trop pertinents. Et si c’était en fait le cas ? Si tu n’étais qu’un fauteuil ? Et si ces personnes qui te disaient le contraire faisaient semblant ? Ou oubliaient simplement la première vision qu’ils ont eue de toi sur cet étrange et laid destrier de fer ? Car enfin tout ce que tu fais, tes activités, ton métier, tes voyages… dépend du fauteuil n’est-ce pas ? Tout ce que tu dis aussi. Car tu as déjà essayé d’avoir une conversation sans jamais le mentionner, de près ou de loin. Et te souviens-tu ? Tu as eu l’impression de mentir en omettant ce qui prend en réalité une place gigantesque dans ta si petite vie. Tu as eu du mal, tu as failli craquer, et sans en parler il a finalement occupé toutes tes pensées au point d’en oublier le sujet dont il était alors question avec ton interlocuteur. Quelques jours tout au plus, voilà le répit que tu t’es donné. Répit durant lequel tu as fini par être mal à l’aise.
Alors ? Et si tu n’étais qu’un fauteuil ?
Parfois la vie nous joue des tours. Moi elle m’a ramené face à des évènements passés, pourtant lointains, que j’aurais préféré oublier. Comme ça, un matin, l’air de rien. Pendant quelques heures, différents sentiments se sont succédés. Culpabilité, manque, tristesse, peur… Je me suis rendue compte qu’à cet instant précis, je souffrais plus du reste que je ne souffrais du fauteuil. L’encrage n’était pas le même. L’histoire, le temps, l’âge, les raisons… non plus. Ainsi toutes mes émotions ne sont pas toujours liées à mon handicap. Certaines peuvent être même plus fortes que ce que certains considèrent pourtant comme d’une extrême tragédie. À la bonne heure ! Enfin…. À peu près, toute proportion gardée.
Et puis. Viennent les coussins, ces petits actes de réconfort qui n’appartiennent qu’à nous. Certains noient leur désarroi dans l’alcool, d’autres dans la nourriture, dans le sport, dans la musique que sais-je ? Et puis pour d’autres ce sont de petits gestes, de petites bulles de douceurs qui, mises ensemble formerons cet oreiller bien moelleux contre lequel reposer notre tête pleine de soucis à soigner.
Pour ma part, j’ai d’abord écrit dans mon cahier d’humeurs, est-ce étonnant. Mis à plat, mis au clair, puis tourné la page et fermé le stylo. Réconfort numéro un.
Ensuite je me suis fait un lait chaud, le remède magique de réconfort donné par ma Mamie quand nous étions petits. Depuis il compense l’absence de sa présence à mes côtés. Il est comme en câlin régressif qui me rappelle que tout ira toujours mieux. Réconfort numéro deux.
Enfin, j’ai décollé les étiquettes des trois livres que j’avais acheté dans l’après-midi puis les ai rangés dans ma bibliothèque. C’est un court instant que je trouve extrêmement satisfaisant. Un peu comme lorsque je rentre du marché et que je prends le temps de disposer mes fruits et légumes dans la corbeille prévue à cet effet, d’une façon qui me semble harmonieuse. Peut-être est-ce deux manies un brin maniaques, mais ça a le don étonnant de me détendre, ranger. Réconfort numéro trois.
Aucun de ces remèdes, coussins et câlins ne sont conditionnés par le fauteuil. Ils étaient là avant lui, ils sont là aujourd’hui, et absolument rien n’a changé à ce niveau. Rien.
La tristesse indépendante.
Un jour quelqu’un qui ne me connaissait pas m’a vue pleurer. Il a cru que c’était lié à « ma situation ». Et ça a l’air d’étonner certains que la raison puisse être autre. Qu’y aurait-il de plus triste que d’être en fauteuil ? De vraiment triste, profondément ? La perte d’une personne, un chagrin d’amour, un drame médical, un souvenir douloureux qui refait surface…
Il y a beaucoup de sentiments et d’émotions provoqués par le handicap, c’est indéniable. Tant d’autres n’ont aucun rapport. Bien sûr que mes gestes sont conditionnés par celle que je suis devenue physiquement. Mais mes intentions, elles, sont à part.
Alors oui, je ne suis qu’un fauteuil. Je ne suis qu’une femme. Je ne suis qu’une adulte. Je ne suis qu’une gamine. Je ne suis qu’une littéraire. Je ne suis qu’une idiote. Toutes ces affirmations sont exactes. Mais horriblement généralistes. Pour certaines subjectives qui plus est.
Et vous, c’est quoi vos petites manies de réconfort ?
Regarder des Myasaki, écouter des chansons disney en chantant en tue tête et en me déhanchant sur mon fauteuil.
Très bel article qui raisonne aujourd’hui très fort! Merci mon amie!
Ah les Disneys il n’y a que ça de vrai ! Merci à toi d’avoir toujours un oeil sur ce que j’écris <3